DEBAT EN COURS SUR L’AVENIR DU FRANC CFA : 10 questions à M. Idrissa Traoré, Ancien Directeur national de la Bceao

Nombreux, très nombreux sont les questionnements sur la Zone Franc,  la politique monétaire de l’UMOA, l’unité monétaire commune émise par la Banque Centrale; les réserves de changes de ses Etats-membres ; la libre circulation des signes monétaires et la liberté des transferts à l’intérieur de l’Union ; la libre convertibilité de l’unité monétaire en Euro, garantie par la France ; la mise en œuvre d’une politique commune de la monnaie et du crédit et d’une réglementation des changes harmonisée ; la fixité du taux de change du FCFA vis-à-vis de l’Euro ; le dépôt dans les livres du Trésor français de 50% des réserves de change générées par la BCEAO alors que les économies ont besoin de liquidités pour financer les investissements ; le niveau faible de l’objectif d’inflation (2%) de la BCEAO, qui est restrictif pour des économies en développement car pénalisant pour le développement du crédit à l’économie ; les raisons de l’individualisation des signes monétaires sur les billets CFA; les sanctions financières infligées au Mali et, récemment, au Niger à la suite des coups d’Etat intervenus dans ces pays ; les dépôts au niveau du compte d’opérations, les critiques et interrogations dont la zone franc CFA a fait l’objet ces dernières années poussant ses autorités à procéder à des réformes.

  1. Idrissa Traoré, banquier de carrière qui n’est plus à présenter pour avoir été une vingtaine d’années à la tête de la Bceao, apporte des éléments d’éclairage dans cette importante contribution dont nous publions une première partie.

Qu’est-ce-que la Zone Franc ?

La Zone Franc est constituée d’un ensemble de pays, qui ont décidé, au lendemain de leur accession à l’indépendance, de maintenir avec la France, selon des modalités contractuelles, des liens particuliers en matière monétaire sur les bases d’une coopération organique.

Elle est composée de :

– La France avec ses départements et territoires d’outre-mer,

– Les pays liés à elle par des conventions monétaires spéciales qui prévoient notamment l’existence d’un compte d’opérations ouvert par le Trésor français aux instituts d’émission de ces pays. Ce sont :

. Les 8 pays de l’Afrique de l’Ouest, membres de l’Union Monétaire-Ouest Africaine (UMOA): Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée–Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo.

La Guinée–Bissau est admise comme membre pour compter du 1er janvier 1997.

. Les 6 pays de l’Afrique Centrale, membres de l’union Monétaire d’Afrique Centrale : Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale, Tchad.

La Guinée Equatoriale est devenue membre le 1er janvier 1985.

La République Fédérale Islamique des Comores qui a adhéré à la Zone Franc le 23 novembre 1979 et dont la Banque Centrale émet le franc comorien.

Elle est donc divisée en deux sous-régions, chacune de structure assez homogène. Les huit (8) pays de l’Afrique de l’Ouest sont agricoles et majoritairement exportateurs de produits de base (coton, café, cacao). Les six (6) pays de l’Afrique Centrale sont surtout exportateurs de pétrole, á l’exception de la République Centrafricaine. La spécialisation des pays de la zone franc CFA dans l’exportation des matières premières non transformées demeure une caractéristique commune de ces économies. En conséquence, les fluctuations des cours des matières premières façonnent les performances macroéconomiques de ces deux sous-régions.

S’agissant plus particulièrement de la sous-région Ouest Africaine et à titre de rappel historique, le Dahomey (actuel Bénin), la Côte d’Ivoire, la Haute-Volta (actuel Burkina Faso), le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Sénégal décidèrent d’instaurer entre eux un pacte de solidarité dans le domaine monétaire.

    Par la suite, la République du Mali décida, le 29 juin 1962, de ne plus ratifier le Traité instituant l’UMOA. Elle a créé son propre Institut d’Emission et sa propre monnaie, le franc malien, qui a perdu la garantie du Trésor français. Toutefois, la détérioration de la conjoncture et le déséquilibre du commerce extérieur conduisirent le Mali à demander sa réintégration dans la Zone franc en 1967 : la Banque Centrale du Mali fut créée, avec un Conseil d’Administration paritaire et le franc malien redevenait convertible à l’intérieur de la zone au taux de 1 F malien = 0,01 FF.

   Une période préparatoire a débuté par la dévaluation du franc malien, décidé le 6 mai 1967, et a été marquée par diverses mesures d’assainissement des finances publiques (accroissement des ressources et compression des dépenses, notamment par la fermeture d’ambassades, limitation des déplacements ministériels, suppression des frais de mission, réduction du parc automobile…) ainsi que de réorganisation des structures économiques (aménagement des sociétés d’Etat déficitaires et amorce de libération du commerce extérieur en particulier).

   Le Mali a, par la suite, adhéré à l’UMOA le 1er  juin 1984.

Quant à la République Togolaise, elle signa le 29 octobre 1962 une convention avec la BCEAO, confiant à celle-ci la gestion provisoire du service de l’émission monétaire sur son territoire.  Une seconde convention, signée le 27 novembre 1963, mit fin à ce régime provisoire de l’émission monétaire au Togo qui devint membre à part entière de l’UMOA.

Après une décennie de participation, les autorités mauritaniennes notifièrent officiellement le 27 décembre 1972 le retrait de leur pays de l’UMOA. Cette décision prit effet, au terme du délai statutaire, le 1er janvier 1973 et le transfert de l’émission sur ce territoire de la BCEAO à la Banque Centrale de Mauritanie fut réalisé le 9 juillet 1973

Parlez-nous du cadre institutionnel de la politique monétaire de l’UMOA.

Le dispositif institutionnel de l’UMOA repose d’une part, sur le Traité régissant les relations entre les Etats membres et, d’autre part, sur l’accord de coopération monétaire entre ces Etats et la France dans le cadre de la Zone Franc.L’Union Monétaire,  instituée par le Traité du 12 mai 1962, et entrée en vigueur le 2 novembre 1962, repose sur les cinq (5) principes fondamentaux ci-après :

–          La reconnaissance d’une unité monétaire commune émise par une Banque Centrale commune ;

    Le pouvoir exclusif d’émission des billets et pièces de monnaie dans les Etats membres est confié à la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), en Afrique de l’Ouest et à la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC), en Afrique Centrale. Le franc CFA émis par la BCEAO s’appelle    « Franc de la Communauté Financière Africaine » et celui émis par la BEAC s’appelle « Franc de la Coopération Financière en Afrique ».

     Ces monnaies sont arrimées à l’Euro à un taux fixe de 1 Euro = 655,957 FCFA.

    Avant 1958, l’acronyme FCFA signifiait « Franc des Colonies françaises d’Afrique ».

– La centralisation des réserves de changes des états membres ;

Par cette disposition, il est fait obligation aux opérateurs économiques des états membres (y compris les Etats) de céder les devises générées en dehors de l’Union à la Banque Centrale permettant ainsi à cette dernière de constituer un pool commun de devises.

    Au niveau de la BCEAO, ces devises étaient déposées à hauteur de 50% dans un compte courant ouvert dans les livres du Trésor Français au nom de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest. Par le biais de ce compte, le Trésor Français pouvait consentir à la Banque Centrale en cas de besoin, les moyens de paiement nécessaires à la couverture des transferts hors de l’Union Monétaire Ouest Africaine.

    Il s’agit du “Compte d’Opérations”. En contrepartie, de ces concours, la Banque Centrale était tenue de verser dans ce compte, les disponibilités constituées en dehors de la zone d’émission, abstraction faite de sa trésorerie courante, à l’exclusion des obligations contractées par les Etats membres à l’égard du FMI, ainsi qu’à certains placements auprès d’Institutions Financières Internationales décidés par le Conseil d’Administration de la Banque, dans la limite jusqu’à récemment de 50% de ses avoirs extérieurs nets. Le décompte des intérêts créditeurs ou débiteurs sur le compte d’opérations était précisé par l’article 7 de la convention de compte d’opérations.

    Il s’agit là d’un pilier important de l’Union symbole de la solidarité entre les Etats. En effet, chaque Etat, quelle que soit sa contribution au pool des devises, peut en disposer autant que nécessaire pour ses besoins en importations dont certaines sont indispensables à leur développement.

     Il y a lieu de signaler que dans le cadre de la réforme annoncée en décembre 2019, ce compte a été supprimé en avril 2021et la Banque Centrale gère désormais librement la totalité des devises générées.

–          La libre circulation des signes monétaires et la liberté des transferts à l’intérieur de l’Union ;

   Les signes monétaires émis dans chacun des Etats membres de l’UMOA par la Banque Centrale ont cours légal, c’est-à-dire que ces valeurs sont reçues comme monnaie légale par les caisses publiques et par les particuliers. Ils ont également pouvoir libératoire, c’est-à-dire que la remise de ces signes monétaires en paiement par un débiteur, éteint sa dette.

    S’agissant des transferts, dans la cadre des opérations financières avec l’étranger, ils sont caractérisés par la liberté des paiements courants sur présentation des pièces justificatives à l’intermédiaire chargé d’exécuter le paiement, la liberté des mouvements de capitaux entre les Etats membres de l’Union.

–          La libre convertibilité de l’unité monétaire en Euro, garantie par la France ;

    La France apporte son concours aux Etats de l’UMOA pour assurer la convertibilité du franc CFA dans le cadre d’une convention de compte d’opérations.

    Au terme de cette convention, la BCEAO avait ouvert un compte dans les livres du Trésor français où elle déposait 50% de ses avoirs en devises hors les montants nécessaires pour sa trésorerie courante.

    Du fait de cette convertibilité de la monnaie, les pays ne connaissent pas de difficulté dans le règlement des transactions avec l’extérieur. Le pool commun de devises est à la disposition de chacun des pays. Les Trésors Publics, les opérateurs économiques privés et publics peuvent faire exécuter leurs ordres de transferts sur l’extérieur relatifs aux transactions courantes sans restriction, pour autant qu’elles soient justifiées et que leurs comptes en francs CFA soient approvisionnés dans les banques locales.

    Elle constitue le fondement de la crédibilité du système et a favorisé l’ouverture vers l’extérieur des économies des pays africains membres de la zone Franc. Elle a fait du Franc CFA une monnaie utilisée dans les transactions internationales, lui donnant ainsi un attrait par rapport aux autres devises de la sous-région.

–          La mise en œuvre d’une politique commune de la monnaie et du crédit et d’une réglementation des changes harmonisée.

   La politique monétaire et de crédit de l’Union est définie par le Conseil des ministres afin d’assurer la sauvegarde de la monnaie commune et de pourvoir au financement de l’activité et du développement économique des Etats membres. La Banque Centrale est chargée de mettre en œuvre cette politique monétaire et de crédit.

    La réglementation des changes harmonisée implique la nécessité d’une similitude dans les principes de base, de manière à ce que la réglementation d’un pays donné ne puisse pas être contournée au moyen d’un transit des opérations avec l’étranger par un pays partenaire.

A suivre

le challenger 

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