Me Kadidia Sangaré : « À l’exception de l’excision, toutes les formes de VBG sont désormais punies par la loi »
« Les femmes n’occupent toujours pas 30 % des postes de nomination »
Avocate au Barreau du Mali depuis 1987, Me Kadidia Sangaré est une figure emblématique de la défense des droits humains. Présidente de la Commission Promotion de la Femme, de la Famille, de la Protection de l’Enfant, de la Jeunesse, des Sports, du Travail et de l’Emploi au Conseil National de Transition (CNT), elle a été ministre de la République, présidente de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH), membre fondatrice de l’AMDH, membre de l’AJM, du Conseil de l’Ordre des Avocats et d’Avocats sans frontières. Une carrière au service des plus vulnérables, notamment les femmes victimes de violences et les enfants en détresse.
Dans cet entretien exclusif accordé à Mali24.info, Me Sangaré revient sur les grandes innovations des nouveaux codes pénal et de procédure pénale récemment adoptés, ainsi que sur l’évolution de la condition féminine au Mali.
Mali24.info : Le Mali vient d’adopter un nouveau Code pénal et un nouveau Code de procédure pénale. Quelles en sont les principales innovations ?
Me Kadidia Sangaré : Ces nouveaux textes comportent de nombreuses avancées significatives. Parmi les plus marquantes, on peut citer :
- Le renvoi à la Constitution pour la définition et la sanction de la haute trahison ;
- La protection des dénonciateurs d’infractions ;
- La reclassification des contraventions de simple police, désormais uniquement punies d’amendes (50 000 F, 75 000 F et 100 000 F selon la gravité) ;
- La hiérarchisation des peines, avec un plafond de 10 ans pour les délits, permettant de correctionnaliser certains crimes (faux, extorsion, violences contre les fonctionnaires, etc.) ;
- L’introduction de la responsabilité pénale des personnes morales, à l’exclusion de l’État et des collectivités territoriales ;
- Un système de numérotation des articles facilitant les mises à jour et l’intégration des références doctrinales et jurisprudentielles ;
- L’inclusion d’infractions jusque-là non prévues, telles que l’esclavage, la traite des personnes, le trafic illicite de migrants, ou encore des infractions issues des Actes uniformes de l’OHADA et de l’UMOA ;
- L’harmonisation des poursuites avec les dispositions constitutionnelles concernant les immunités et privilèges des hauts responsables ;
- L’instauration du référé liberté pour une mise en liberté possible à tout moment de la procédure ;
- L’élargissement du statut d’officiers de police judiciaire à certains fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ;
- La reconnaissance du pouvoir de police judiciaire aux maires et à leurs adjoints ;
- La responsabilisation des acteurs judiciaires avec des sanctions prévues en cas de violation de certaines règles de procédure ;
- La suppression des cours d’assises au profit de chambres criminelles dans les tribunaux de grande instance, pour accélérer les procès et désengorger les prisons ;
- L’introduction de techniques spéciales d’enquête, strictement encadrées dans le respect des droits humains ;
- La réforme du régime de la plainte avec constitution de partie civile, désormais adressée au président du tribunal plutôt qu’au juge d’instruction ;
- La création du juge de l’application des peines et l’introduction progressive de la surveillance électronique comme alternative à l’incarcération ;
- L’actualisation des dispositions sur le casier judiciaire et des précisions sur la procédure d’extradition.
Ces réformes représentent-elles des avancées notables en matière de protection des droits des femmes ?
Absolument. Des infractions jusque-là absentes des textes sont désormais reconnues et punies. Je pense notamment au harcèlement en milieu professionnel et scolaire. Le Code pénal prend également en compte les violences basées sur le genre (VBG) et les pratiques traditionnelles néfastes. Cela constitue une avancée majeure pour la protection des femmes et des enfants.
Cependant, il faut noter que l’excision, bien qu’étant une forme grave de VBG, n’est pas encore pénalisée par la loi. C’est une exception regrettable, mais toutes les autres formes de violence sont désormais réprimées.
Comment jugez-vous l’évolution de la situation des femmes au Mali au cours des trente dernières années ?
Des progrès ont été réalisés, mais de nombreux défis subsistent. Il existe aujourd’hui un ministère dédié à la promotion de la femme, des associations féministes dynamiques, une loi sur le genre… mais dans les faits, les femmes n’occupent toujours pas 30 % des postes de nomination, même au sein du CNT. Pourtant, lors des dernières élections législatives, nous étions proches d’atteindre ce seuil parmi les députées élues.
Ce discours selon lequel il serait difficile de « trouver des femmes compétentes » est infondé. Elles sont là, nombreuses, brillantes, souvent premières de leur classe. Il suffit de voir les résultats des examens comme le bac ou le DEF pour s’en convaincre.
Le quota est une étape, mais notre objectif doit être l’égalité réelle en droit et en pratique. Il faut reconnaître que les femmes maliennes ont souvent une longueur d’avance par rapport à d’autres pays africains. Le Code des mariages et tutelles de 1962 était déjà novateur pour l’époque. Les femmes se sont battues pour que les textes évoluent, et elles continuent de se battre.
Quel message souhaitez-vous adresser aux femmes maliennes ?
Je pense qu’il est temps de changer de stratégie. Pour réussir, les femmes doivent convaincre les hommes de marcher à leurs côtés. Ce combat ne peut être gagné seules. Ensemble, main dans la main, nous pouvons atteindre nos objectifs. Il faut une synergie, une solidarité renouvelée pour une société plus juste et plus équitable.
Propos recueillis par Kada Tandina
Pour Mali24.info
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