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Lettre ouverte adressée au Président Assimi GOÏTA Excellence,

En tant que citoyen profondément attaché à son pays, je me permets de vous adresser cette lettre, faisant suite à d’autres correspondances que je vous avais précédemment envoyées.
Dans mes écrits antérieurs, j’avais partagé mes sentiments, mes préoccupations ainsi que mes analyses sur l’état et le devenir de la nation. Aujourd’hui encore, je me vois contraint de reprendre la plume, non sans peine, car je constate que les mêmes problématiques demeurent.
Excellence, pendant un certain temps, j’avais choisi le silence. Non pas par désintérêt pour l’actualité de mon pays, mais parce qu’en tant qu’intellectuel, le recul permet parfois la réflexion, et constitue surtout un signe de sagesse.
À présent, cette période est révolue, et je ressens de nouveau le devoir de vous faire part de mes pensées les plus profondes.
Dans cette lettre, je resterai fidèle à la trame de mes précédents écrits. Je ne vous dirai pas ce que vous pourriez souhaiter entendre, mais je vous livrerai mes préoccupations de citoyen et mon analyse d’intellectuel.
Je suis bien conscient que vous êtes entouré de conseillers de valeur. Toutefois, un homme sage m’a dit un jour : « Un conseil n’est jamais de trop pour l’homme sage, et a fortiori pour celui qui gouverne. »
Car rien n’est plus fatal pour un dirigeant que le confort de la certitude, ou les chants des courtisans et des flatteurs.
Excellence, notre pays est confronté à d’innombrables défis, et les dangers qui nous guettent exigent un sursaut, ainsi qu’un discours de vérité. Le Mali, que nous aimons tous à notre manière, ne peut être sacrifié sur l’autel des ambitions personnelles ou des querelles partisanes.
Dans une société libre, chacun a le droit de formuler et de défendre sa propre lecture des problèmes. Mais c’est l’intérêt supérieur de la nation qui doit guider à la fois nos opinions et nos actions.
Il ne serait pas rendre service à notre pays que de sombrer dans la complaisance ou la forfaiture. Comme le rappelait Jaurès : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire. »
Excellence, l’actualité m’y oblige : cette lettre portera exclusivement sur la question de la réforme ou de la dissolution des partis politiques.
Sans langue de bois, si la question des partis politiques mérite d’être posée et traitée, évoquer leur dissolution serait non seulement contraire à l’esprit de la Constitution, mais aussi aux idéaux de la Révolution.
Derrière cette initiative, l’observateur éclairé perçoit clairement une volonté – ou à tout le moins une tentation – de liquider purement et simplement la politique.
Excellence, depuis trop longtemps, un amalgame dangereux, bien que subtilement construit, est entretenu : celui qui peint la politique et l’homme politique comme des incarnations du mal, opposés aux vertueux militaires. Cette construction artificielle a nourri une division inutile.
Si le procès intenté à certains hommes politiques peut être justifié, celui fait à la politique elle-même est non seulement injuste, mais aussi inefficace.
Comme le disait Voltaire : « Dieu ne doit point palir des sottises du Prince ». De la meme manière, la politique ne peut être tenue responsable des dérives de certains de ses acteurs. Que chacun porte sa croix.
La chute de certains pays résulte souvent d’une défaillance collective. Lorsque l’on préfère les brigands, que l’on accepte l’argent des plus véreux tout en se lavant les mains, il ne faut pas s’étonner que ce type de personnes accède au pouvoir.
Vous le savez mieux que quiconque : vouloir traduire des réalités complexes à travers des explications simplistes revient à ne rien résoudre du tout.
Le problème de notre pays réside d’abord dans le comportement de ses citoyens, qui préfèrent parfois les corrompus aux intègres. Il réside aussi dans la malhonnêteté intellectuelle d’une partie de l’élite, avide de richesse et de gloire. Et surtout, dans l’ignorance qui empêche une grande partie de la population de raisonner par elle-même.
Faire peser toutes les calamités du pays sur les seuls politiques reviendrait à ignorer que, dans l’histoire récente, la gestion militaire a été plus longue que celle des civils. Et même sous des régimes dits civils, les militaires ont toujours été impliqués.
Cela confirme ma conviction : nous faisons face à une défaillance collective.
Excellence, on ne saurait condamner la politique pour les errements de certains hommes politiques. La voie à suivre consiste à renouveler la pensée politique, à renforcer la formation idéologique, philosophique et culturelle des citoyens.
Car l’un des maux de notre continent est la méconnaissance de la notion de citoyenneté. Être citoyen, c’est être éclairé, connaître ses droits mais aussi ses devoirs. C’est, surtout, être capable de penser par soi-même.
L’avenir de nos États dépend avant tout de ce préalable. Il nous faut cesser les accusations faciles, ne plus détourner le regard, et affronter le cœur des problèmes.
Durant 23 ans, dans ce pays, les partis politiques ont été écartés, un parti unique instauré. On ne peut pas dire que les résultats aient été brillants.
Il est temps de sortir des sentiers battus, si l’on veut offrir un avenir radieux à notre nation.
Qu’on le veuille ou non, gouverner la cité est un acte politique. À ce titre, l’existence de l’homme politique, son droit de créer un parti et de concourir à l’exercice du pouvoir, est une réalité incontournable.
Excellence, si vous souhaitez régler le problème des partis politiques — leur nombre et leur efficacité — cela ne peut se faire sans inclure les acteurs politiques eux-mêmes. On ne peut débattre des problèmes d’un corps, d’une discipline ou d’une science en écartant ceux qui en sont les acteurs. Toute solution issue d’un tel processus serait inévitablement contre-productive.
Je vous conjure, Excellence, de ne pas céder à la tentation de la pensée unique, ni aux sirènes de ceux qui ne se nourrissent que du chaos. Les solutions extrêmes sont rarement les meilleures.
Excellence, avant d’envisager une décision aussi radicale que la dissolution des partis politiques, posez une simple question à ceux qui vous y poussent : une fois les partis dissous, que ferez-vous des idées ? Interdirez-vous aussi les opinions ? Irez-vous jusqu’à dissoudre les plumes, les langues, les esprits ? Ceux qui vous murmurent que les partis sont la racine du mal, ont-ils oublié que ce n’est pas en bâillonnant le débat qu’on construit une nation stable ? Qu’ils vous expliquent, avec sérieux, comment une transition peut réussir en muselant les formes mêmes d’expression politique. Qu’ils vous démontrent comment on peut prétendre à une refondation nationale tout en excluant ceux qui portent le pluralisme. Qu’ils nous disent, enfin, en quoi l’uniformité imposée a jamais produit autre chose que le chaos à long terme. Monsieur le Président, exigez d’eux des réponses claires, car les conséquences d’un tel pas seraient lourdes, irréversibles, et ce, à court, moyen et long terme. Je vous le dis sans détour : je peux vous le jurer.
J’espère, de tout cœur, que ces quelques mots trouveront une oreille attentive. Et surtout, qu’ils vous apporteront des pistes de réflexion dans cette période trouble, afin de sortir notre pays de l’ornière.
Hamidou Doumbia
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