Réinsertion des migrants de retour au Mali : Le bout du tunnel est encore long !

Au Mali, comme dans nombreux pays subsahariens, c’est le secret de polichinelle, les migrants maliens de retour sont jetés en pâture à la précarité et autres aléas qui compromettent dangereusement leur réinsertion et leur avenir. 

Le Mali est un pays à fortes traditions migratoires que ce soit vers l’Afrique ou l’Europe avec une diaspora diversifiée. La majorité des migrations maliennes se déroule en Afrique dans les pays de la CEDEAO, le reste se trouve principalement dans les pays occidentaux notamment la France. 

Rappelons que notre pays comptait en 2018 à environ 18 millions d’habitants avec un taux de croissance annuel de 3,6%, la tranche d’âge de moins de 25 ans représente environ 64% de la population. Avec un tel pourcentage important de sa jeunesse désœuvrée, facteur de la migration massive, le Mali perd chaque année des milliers de ses bras valides. Et cela pour la quête d’une vie meilleure vers les côtes occidentales.

Mais malheureusement, les choses ne se déroulent comme prévu, des migrants sont obligés d’emprunter le chemin du retour soit volontairement ou involontairement. Et selon les avis des migrants maliens de retour, ils sont jetés en pâture à la précarité et autres aléas qui compromettent dangereusement leur réinsertion et leur avenir.

Des systèmes de réinsertion défaillants 

Selon le CIGEM, pour apporter des solutions durables à la problématique d’insertion et de réinsertion des migrants de retour, le ministère de tutelle a initié un projet intitulé « Le Projet d’appui à la formation et à la réinsertion des migrants de retour ». A travers ces différents projets, le CIGEM forme des dizaines de migrants et les accompagne à travers les kits de travail. 

Malgré tout, comparativement au nombre des migrants, beaucoup reste à faire car un grand nombre est laissé à son sort dans la nature chaque année.

A. Sanogo, la trentaine révolue, sénoufo bon teint est un migrant de retour. Il est bénéficiaire du projet de CIGEM. Après son retour volontaire en avril 2022, de l’Algérie, il a reçu des kits de couture puisqu’il est couturier de profession. Un geste apprécié à sa juste valeur par le jeune sénoufo mais jusque-là par manque de suivi et d’accompagnement technique, il peine à s’installer. « C’est bon de donner des kits, mais il faut reconnaitre que le suivi est aussi très important. J’ai les kits mais je peine à trouver de magasin faute de moyens pour payer les cautions. Je connais pas mal de migrants qui n’ont bénéficié ni d’accompagnement depuis notre arrivée, ni rien du tout. Je connais aussi parmi ceux qui ont reçu des kits par faute de suivi qui ont finalement vendu leurs kits et sont prêts à retourner ».

Le cas de Z. Camara, la trentaine d’années en est une parfaite illustration. Après avoir passé six (6) longues années en Lybie souvent dans des conditions inhumaines (carcérales), il s’est vu rapatrié manu-militari par les autorités du pays d’accueil en 2020. Et depuis cette date, le jeune migrant sans métier est laissé à son sort sans accompagnement ni rien.  « Après l’accueil nocturne par les autorités d’alors, moi et tous mes amis du même convoi sont là, on a passé quelques nuits au centre d’accueil et après ils nous ont donné les frais de transport pour qu’on puisse regagner nos familles et depuis…on est là sans emploi, sans assistance… », nous a confiés Z. C gorge mouillée, pleine de tristesse.  

A l’instar de Z. C, deux autres migrants en l’occurrence S. Diarrassouba et Y. Diaby, tous des quadragénaires sont tous à leur cinquième tentative de franchir les côtes maghrébines pour l’Europe et autant de refoulement. Par faute d’assistance et d’accompagnement, ces deux migrants désespérés n’ont des yeux que pour l’Europe car selon eux, notre pays ne leur réserve aucun avenir. « Je suis l’aîné de ma famille, une famille qui n’a jamais connu d’équilibre, la seule chance pour renverser cette situation, c’est de sortir, aller tenter ma chance. Car en restant ici, rien ne changera, j’ai passé mes vingt premières années dans cette même situation… », explique-Y. D larmes aux yeux. 

L’OIM et l’Etat jouent à la politique de l’Autruche

L’organisation internationale de la migration (OIM), dont sa vocation est d’orienter les migrants, les accompagner ne semble pas jouer pleinement ce rôle d’après quelques migrants refoulés de la Lybie. En voulant recouper ces informations, l’Organisation ne s’est pas montrée coopérative en facilitant l’accès à l’information. 

De l’avis de quelques migrants de retour en petits groupes réunis autour des locaux de l’OIM, c’est le désespoir total et ils ne savent plus désormais à qui se confier. Lors de notre passage pour le dépôt d’une demande d’entretien avec le chargé de communication, le désespoir était lisible et visible sur les visages de ces pèlerins du désert. Selon eux, à défaut d’avoir un interlocuteur direct à l’institution censée les orienter, ils (migrants de retour) ont eu juste droit à quelques mots de consolation du chef de poste de la société de gardiennage. 

La vraie solution susceptible de faciliter l’insertion socioprofessionnelle des migrants de retour selon les migrants eux-mêmes est inhérente de la volonté politiques des plus hautes autorités et ses partenaires. A les en croire, plusieurs facteurs déterminent la cause de la migration au Mali. Il s’agit notamment du chômage, le faible taux de la scolarisation, la pauvreté constante, la pesanteur socioéconomique. Si on trouve des solutions convenables à ces facteurs, ajoute M. Sylla, rien ne pourra pousser les jeunes à migrer, même la mort !

Après maintes tentatives d’approcher le président de l’association malienne des expulsés pour d’ample information sur la situation des migrants de retour, aucune suite ne nous a été donnée. 

Il faut rappeler qu’au Mali, le processus de réintégration des migrants de retour dans la vie sociale et économique de leur communauté et de leur pays est un processus complexe et dépend d’une part des besoins individuels et des capacités de la personne et d’autre part des possibilités et des services de soutien disponibles. Les programmes d’aide à la réintégration des migrants de retour sont mis en œuvre par l’ANPE en partenariat avec l’office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

De 2002 à 2014, 91 033 migrants maliens rapatriés ou reconduits

Malgré la mise en place de ce programme, un bon nombre de migrants de retour au bercail sont jetés en pâture à la précarité et autres aléas qui compromettent dangereusement leur réinsertion et leur avenir. 

Selon Ibrahim Ag Nokh, directeur générale de l’ANPE, dans le « manuel pour la gestion des migrations professionnelles au Mali »,  l’Agence nationale pour l’emploi au Mali s’occupe spécifiquement d’un seul volet de la migration notamment les migrations professionnelles. Comme motivation par rapport à ce choix, l’ANPE trouve qu’il est évident qu’une migration mal organisée a pour conséquences néfastes des difficultés de séjour, des problèmes d’accès à des emplois aux meilleures conditions de rémunération au niveau des pays de destination. Selon l’agence, partant de ces constats, le Mali a adopté en septembre 2014 la politique nationale de la migration (PONAM) dont l’un des objectifs spécifiques est la promotion de la migration légale.

Par ailleurs, les 80 à 90% des migrants maliens ne sont pas qualifiés ou ne répondent pas aux critères de l’ANPE (la voie légale de l’immigration). La plupart emprunte la voie illégale pour des destinations diverses. Compte tenu de la complexité des critères de la migration professionnelle, des milliers de jeunes empruntent chaque année le chemin de la mer. Selon des données du centre d’information et de gestion de la migration (CIGEM), le phénomène migratoire connait actuellement des évolutions très inquiétantes dues à la migration irrégulière, l’insécurité croissante, l’application stricte des politiques migratoires, le chômage et qui ont multiplié des drames devenus quasi quotidiens le long des traversées des déserts, des pays de transit et surtout des océans. Cette situation se traduise par des reconduites aux frontières, des rapatriements et des expulsions estimés de 2002 à 2014 à 91 033 migrants maliens (DGME, mars 2014) dont 83 609 reconductions d’Afrique, 5 990 d’Europe, 1 370 d’Asie et 64 d’Amérique. Compte tenu de ce nombre important de reconduction, la quasi-totalité de ces migrants de retour ne bénéficie d’aucun accompagnement digne ni de la part des autorités encore moins des partenaires.

Cette enquête a été réalisée avec l’appui financier de l’UNESCO en partenariat avec la Maison de la Presse

Bourama Camara

Source: mali24.info

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