CEUX QUI FONT BOUREM (25): ALHAMISSA TOURÉ, ARTISAN DE L’OMBRE À BOUREM
Qu’ils soient des locaux. Ou exceptionnellement venus d’ailleurs. Les ouvriers qualifiés furent un maillon essentiel du bon fonctionnement du système colonial français. Et cela dans chacune de nos contrées. Notamment à Bourem où les bâtiments de cette ère ont pignon sur rue dans la ville. Du coup, l’administration publique du Mali indépendant a longtemps, prolongé cette stratégie.
À Bourem, des figures emblématiques de l’artisanat public ont ainsi marqué les mémoires : le maître menuisier Feu Oumar Doumbia, le maître maçon Feu Abdourhamane Omorou, le maître tailleur Sadou Baby ou encore le maître chauffeur Feu Farka Asibto, pour ne citer que ces pionniers.
Avec le libéralisme économique des trois dernières décennies, la donne a changé. Tous les ouvriers, quel que soit leur statut, ont désormais la possibilité de concourir à égalité sur les marchés publics ou privés, le monopole d’État n’étant plus une garantie.
Alhamissa Touré, un maçon issu des entrailles de cette tradition d’ouvriers qualifiés, incarne aujourd’hui cette relève méritante. Il est notre héros du jour. C’est d’autant plus que la tradition des grands maçons de Djenné rapporte que, ceux qui construisent des maisons construisent également la mémoire d’un peuple !
Dans la ville, tout le monde l’appelle Alhamiss, sauf ses vrais potes qui le surnomment, à son corps défendant, «Gomis».
À l’âge de la retraite aujourd’hui, ses mains calleuses trahissent le maçon rigoureux et vaillant à la tâche qu’il fût. Vieil poste radio toujours sous l’aisselle, turban offrant une ombre bienvenue à son visage, le parcours de Alhamissa Touré raconte, mieux que ses mots, les années passées à bâtir des maisons à usage d’habitation, des écoles, des mosquées, à les réhabiliter souvent sous le soleil ardent de Bourem et quelquefois sous le vent qui ne faiblit jamais.
De Tondibi à Almoustarat, en
descendant au fleuve par Kourmina, apprenti
maçon depuis l’enfance, il n’a jamais eu de diplôme. Mais chaque mur qu’il a dressé durant sa carrière de filleul avec son Maître Maçon, puis à son compte personnel jusqu’en 2020 (année de sa retraite) est une leçon d’équilibre et de persévérance de son parcours.
N’ayant connu que Bourem, Alhamissa a appris le métier de maçon sur les chantiers, auprès de son Maître Abdourhamane. Ce qu’il n’a pas appris à l’école (relativise t-il), la poussière des chantiers le lui a enseigné, car soutient-il de nouveau : « lorsqu’on n’a pas eu de maître d’école, on devient élève d’un chantier ».
Et les chantiers où il était élève, il s’en souvient comme si c’était hier, des plus éprouvants sous le soleil brûlant, jusqu’aux derniers marqués par des imprévus.
Comment ne pas évoquer cette Semaine Régionale des Arts et de la Culture de Bourem en 1982 ? Un événement qui n’aurait jamais pu se tenir sans leur volonté acharnée et sans leur énergie débordante, tant les infrastructures (le Stade et la Maison des Arts et de la Culture) accusaient un gros retard.
Il a fallu travailler sans relâche, de 8 heures du matin à 2 heures du lendemain, et quotidiennement, à la lueur des Petromax, ces lampes à pétrole pressurisées, devenues complices de leur combat contre le temps. Une course contre la montre, menée à bout de bras, qui reste encore aujourd’hui un symbole de dévouement collectif et de résilience locale.
À Bourem, passé Maitre Maçon, ses constructions se dressent fièrement, et très solides malgré les vents du désert. De même que les témoignages, aussi bien éloquents pour un artisan qualifié d’homme de niveau, juste dans l’effort, loyal dans l’équipe et fort sur le chantier. Il n’a pas construit des palais ou des palaces, non. Mais il a bâti à Bourem des foyers. Il a offert des toits. Il a même donné de la dignité à ceux qui avaient peu et ceux qui, faute de subsistance, n’avaient plus les moyens de lui payer. Des habitants impotents, par exemple, lui sont encore redevables aujourd’hui.
Son exercice ? Tous les matins, à la première lumière, Alhamissa est déjà sur le chantier. Il pose un niveau. Il ajuste une brique. Il conseille un apprenti. À défaut, on le voit squatter des habitations et d’un simple coup d’œil furtif, comme un bureau de contrôle, transmet les anomalies. Avec un discours juste et par le geste. Les derniers lotissements peuvent témoigner.
Son rêve ? Ce sont ses enfants, héritant de son amour du travail bien fait qui lui témoignent, en lui exigeant, vaille que vaille de passer la main, prouvant ainsi que le vrai héritage n’est pas ce qu’on laisse à ses enfants, mais ce qu’on leurs montre avec la main.
À Bourem, si les murs n’ont pas d’oreilles, il y a en a qui parlent. Ceux de Alhamissa racontent la dignité d’un bâtisseur, d’un constructeur silencieux !
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