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Du Mali à la Tanzanie, la quête de nouveaux modèles : Le modèle russe à l’épreuve de la crise malienne

Le haut fonctionnaire Yaya Gologo – conseiller spécial du général-président Assimi Goïta depuis février 2024 – livre une réflexion sur la trajectoire de l’État en Russie et en Afrique. Au Mali, la publication de son ouvrage « Poutine aux Africains. Géopolitique mondiale » s’inscrit dans un contexte marqué par un changement d’alliance géopolitique : un revirement en faveur de la Russie en 2021.

Catégorique dans sa conclusion, l’auteur estime que, comme en Russie sous Poutine, « le retour de l’État peut être considéré [en Afrique] comme la solution aux problèmes qui sont pour la plupart liés au grand délabrement du système institutionnel engendré par des facteurs à la fois endogènes et exogènes. »

S’appuyant sur ses recherches à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) sur la recomposition de l’Europe postcommuniste, après des études en ex-URSS et une thèse en droit public à l’Université de Grenoble, il explique que Vladimir Poutine, à son arrivée au pouvoir, a engagé,« aux antipodes de la Perestroïka», une politique russo-centrée qui rejette le modèle d’État occidental. Sous Boris Eltsine (élu en 1996), écrit l’auteur, l’État russe était entré en déliquescence malgré les privatisations menées dans le cadre de la « thérapie de choc » défendue par les États-Unis. À l’époque, cet épisode est décrit par les Russes par un terme désabusé, « Bespredel » (qui est absurde, qui ne peut être compris).

À son arrivée au pouvoir, affirme Yaya Gologo, Poutine décide de suivre sa propre voie et engage la quête d’un « nouvel ordre mondial ». Sur le plan interne, il renforce l’autorité de l’État en imposant par le haut « la dictature de la loi » et la « verticalité du pouvoir » – avec le retour en force des « Guébistes » (FSB, ex-KGB), dont il est issu – et en « s’appuyant sur les valeurs chrétiennes et familiales traditionnelles auxquelles la population russe est largement fidèle ». Cette valorisation de la « tradition » pour créer un paradigme politique alternatif en privilégiant les valeurs conservatrices, que semble idéaliser Gologo, met pourtant en avant une sorte d’« exceptionnalisme » sur le mode culturaliste du « choc des civilisations » – une vision dont on a tendance à penser qu’elle a pris le dessus sur celle de la « Fin de l’Histoire ».

Pourtant, dans la confrontation entre ces deux récits, qui a dominé les débats dans le champ des relations internationales entre 1990 et 2000, ni l’un ni l’autre ne l’a emporté. Gologo déroule une vision romantique de la politique russo-centrée de Poutine en cédant à l’« essentialisme culturel » comme mode d’explication pour cultiver la différence : « S’il existe une différence fondamentale entre les Russes et les Occidentaux, elle se situerait sans doute dans leur attitude envers le pouvoir et l’autorité. Si la défiance envers le pouvoir est une pratique courante en Occident, d’ailleurs c’est un caractère inné des traditions américaines ou françaises, […] les Russes admirent la grandeur et le pouvoir sans restriction. »

Sur la scène internationale, Poutine opte pour le repli, réaliste sur les enjeux internationaux selon Gologo, après l’espoir déçu d’un rapprochement avec l’Occident. Cette quête d’un nouvel ordre mondial (exprimée aussi dans une fameuse « Lettre aux citoyens du monde », au cœur de l’ouvrage mais dont l’authenticité est contestée par l’AFP Factuel), pousse la Russie à un réengagement en Afrique, où elle entretient des relations avec plusieurs pays dans différents domaines, notamment sécuritaire, comme en Centrafrique et au Mali. Au Mali, en proie à la violence armée comme ses voisins sahéliens, Gologo prône « un retour de l’État comme réponse aux problèmes » après que les réformes néolibérales issues du consensus de Washington ont affaibli ses capacités en imposant un « État minimum ».

L’analyse de Gologo omet de rappeler que, depuis fin 1990, on assiste à une réhabilitation des politiques publiques avec l’État « comme acteur central et incontournable du développement » – de retour en force « à travers des politiques publiques sécuritaires », d’ailleurs sous l’impulsion des pays occidentaux. Or, illustration supplémentaire des affinités électives avec le régime russe contemporain, cette dynamique a débouché sur une restauration autoritaire, symptôme des « révolutions conservatrices ».

Gologo propose un «État africain intégré» sur le modèle fédéraliste pour en finir avec l’État territorial, avec un «afrocentrisme des politiques » et une « division interafricaine du travail ». En gros : une politique « afrocentrée » ou encore le repli dans des configurations étatiques qui, comme en Russie, restent engluées dans « l’impasse nationale-libérale ». L’auteur n’en est pas à une contradiction près dans la mesure où l’argument du rejet des modèles ne l’empêche pas de basculer dans une idéalisation du modèle russe. Celui-ci – grand paradoxe – combine rhétorique sur les valeurs traditionnelles avec hypermodernisation technologique, une polarisation des valeurs traditionnelles et libérales qui ne s’excluent pas. L’adhésion de la population au nationalisme russe, notamment la version qui s’articule autour de l’État-civilisation, aurait, pourtant, gagné à être relativisée et placée dans une perspective critique. Surtout quand on sait que, pour reprendre les propos de l’historienne Sophie Bessis, tout nationalisme a pour fantasme de créer un État homogène à travers un roman national qui a peu de choses à voir avec la réalité.

Par Bokar Sangaré, Université libre de Bruxelles

À lire (ou non…) : Yaya Gologo, Poutine aux Africains. Géopolitique mondiale, Éd. Yeredon, 140 pages, 2025.     

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