Hamadou Fall Dianka, DG des Impôts : « Le montant des recettes électroniques a atteint 300 milliards de Fcfa en 2024 »
Dans cet entretien exclusif, le directeur général des Impôts évoque, entre autres, les étapes franchies en termes de transformation numérique de ses services, les avantages concrets pour les citoyens et les entreprises, les défis rencontrés et les innovations à venir pour consolider cette digitalisation
L’Essor : Quelles sont les principales étapes déjà franchies dans la digitalisation des moyens de paiement de l’État ?
Hamadou Fall Dianka : La Direction générale des impôts (DGI) a engagé depuis plusieurs années une transformation numérique progressive en deux étapes. La première étape a été l’informatisation de la chaîne opérationnelle, avec l’introduction en 1999 du Système intégré de gestion des impôts et assimilés (Sigtas). Ce système a permis d’automatiser la gestion des impôts et de constituer une base de données centrale.
D’abord expérimenté à la Direction des grandes entreprises (DGE), il a été progressivement étendu, à partir de 2003, aux centres d’impôts du District de Bamako et à plusieurs centres régionaux tels que Kayes, Koulikoro, Ségou, Mopti ou encore Sikasso. Cette étape marque le véritable démarrage de la transformation numérique de l’administration fiscale.
La deuxième étape concerne l’intégration des téléservices. En 2017, un module dédié a été développé dans le système Sigtas pour permettre aux contribuables d’accomplir leurs obligations fiscales par voie électronique, avec une mise à jour en temps réel des données. En janvier 2019, le module E-Impôt a été lancé, offrant des services de télédéclaration et de téléconsultation en ligne. Les contribuables de la DGE et des Centres des moyennes entreprises (CIME) ont ainsi pu commencer à souscrire leurs déclarations par voie électronique. En août 2019, l’encadrement juridique du télépaiement a été adopté, suivi du lancement officiel de la plateforme en décembre 2021. Depuis, le paiement des impôts, droits et taxes peut se faire de manière dématérialisée. En 2023, d’autres innovations sont venues renforcer ce processus, avec notamment la digitalisation du quitus fiscal en ligne et le lancement du projet d’immatriculation fiscale en ligne. Des interfaces ont également été développées pour automatiser le traitement des paiements en ligne avec les banques.
L’Essor : Quels sont aujourd’hui les services fiscaux et administratifs concernés par cette digitalisation ?
Hamadou Fall Dianka : La digitalisation à la DGI touche un large éventail de services. Elle concerne d’abord la télédéclaration, qui couvre désormais tous les contribuables et l’ensemble des impôts du système fiscal malien, à l’exception de quelques impôts spontanés comme les droits d’enregistrement ou les vignettes. Elle intègre également les annexes fiscales et les liaisons fiscales, notamment pour l’Impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux (IBIC) et l’Impôt sur les sociétés (IS).
Le télépaiement est également opérationnel pour tous les contribuables des centres informatisés, qui peuvent régler leurs impôts et taxes par virement bancaire. En parallèle, la téléconsultation permet aux usagers de suivre leur situation fiscale en ligne et d’imprimer des rapports. La délivrance en ligne du quitus fiscal se fait désormais exclusivement par voie électronique, conformément à l’instruction du 10 mars 2023.
Quant à l’immatriculation fiscale, elle a commencé à être digitalisée, notamment avec l’intégration de la déclaration des bénéficiaires effectifs. Enfin, plusieurs services internes sont développés pour les agents de la DGI et des efforts sont menés pour améliorer l’échange automatique d’informations avec le Trésor, les Douanes, le Budget ou encore la Direction des marchés publics. Parmi les perspectives, la gestion et la vente des vignettes et timbres mobiles figurent également parmi les domaines ciblés pour une prochaine digitalisation.
L’Essor : Quels avantages concrets la digitalisation apporte-t-elle aux citoyens, aux entreprises et à l’administration fiscale ?
Hamadou Fall Dianka : Pour les citoyens et les entreprises, la digitalisation des services fiscaux a considérablement simplifié les démarches. Les déclarations, paiements et consultations peuvent désormais se faire en ligne, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, sans qu’il soit nécessaire de se déplacer dans un centre des impôts. Cela réduit considérablement les fichiers d’attente et les délais de traitement.
Les contribuables bénéficient également d’économies sur les frais de déplacement et d’impression, tandis que les interfaces numériques, conçues pour être accessibles, limitent les erreurs. Un autre avantage majeur est la transparence. Chaque contribuable peut accéder à l’historique de ses paiements et recevoir des notifications automatiques ainsi que des reçus électroniques, ce qui renforce la confiance dans l’administration. Les données personnelles et financières sont protégées grâce à des protocoles de sécurité avancés. Les contribuables peuvent mettre à jour leurs informations directement dans le système d’information de la DGI.
Du côté de l’administration fiscale, les gains sont tout aussi significatifs. L’automatisation des processus réduit les saisies manuelles et accélère le traitement des déclarations et des paiements. Un gain de temps augmentant à 1.379 jours-homme en 2024 a été réalisé, permettant aux agents de se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée comme le contrôle fiscal, le conseil et l’assistance aux usagers. La digitalisation réduit également les coûts liés au papier et améliore l’efficacité dans la collecte des recettes. Le télépaiement accélère la collecte des recettes fiscales. Le montant des recettes électroniques a augmenté de 34% entre 2023 et 2024, passant de 2% en 2022 à 30% en 2024 (soit 300 milliards de Fcfa).
Les taux de déclarations dans les délais ont atteint 99% pour les grandes entreprises et 95% pour les moyennes entreprises en 2024.
Grâce à l’interconnexion avec d’autres structures comme le Trésor, les Douanes ou la Sécurité sociale, la détection des anomalies et la lutte contre la fraude se sont renforcées. La centralisation des informations dans une base de données nationale des contribuables, l’automatisation des calculs et la validation des données en ligne fiabilisent le système et minimisent les risques d’erreurs humaines.
La digitalisation a ainsi contribué à moderniser l’administration fiscale malienne, en la rendant plus performante, transparente et alignée sur les standards internationaux. Elle fournit également des statistiques fiables pour orienter les politiques publiques.
L’Essor : Quelles difficultés rencontrez-vous dans la mise en œuvre de cette digitalisation ?
Hamadou Fall Dianka : Comme tout processus de modernisation, la digitalisation à la DGI se heurte à plusieurs défis. Le premier concerne l’infrastructure technologique : les serveurs et les capacités de stockage ne suffisent pas toujours face à la demande croissante, ce qui provoque parfois des diminutions. À cela s’ajoutent des incidents liés aux coupures électriques et le besoin d’une meilleure formation continue pour les équipes techniques.
Les coûts d’investissement et de maintenance restent élevés, tandis que la cybersécurité impose une vigilance constante contre les risques de piratage ou de rançongiciels. Sur le plan juridique, la généralisation des téléservices est freinée par leur caractère non obligatoire.
L’évolution du cadre juridique, notamment sur la signature électronique ou la valeur probante des documents numérisés, avance moins vite que les innovations technologiques. Il existe également des obstacles humains et sociaux. La fracture numérique privée une partie de la population d’un accès efficace aux services en ligne. Certains usagers et agents restent attachés aux pratiques traditionnelles et se montrent réticents face aux nouveaux outils. La formation continue et le changement de culture administrative constituant donc un enjeu essentiel.
Les limites fonctionnelles doivent encore être levées. Le télépaiement repose uniquement sur les virements bancaires, ce qui exclut pour l’instant les paiements via mobile money ou cartes bancaires, pourtant très utilisés au Mali. De plus, l’accès aux services reste conditionné à une connexion internet, ce qui peut exclure les utilisateurs les moins familiarisés avec le numérique.
L’Essor : Comment garantissez-vous la sécurité et la transparence des transactions numériques ?
Hamadou Fall Dianka : La DGI a mis en place plusieurs mécanismes pour sécuriser ses plateformes et inspirer confiance aux usagers. Les données sont protégées grâce à des protocoles de chiffrement robustes comme SSL et TLS, et les certificats de sécurité sont régulièrement renouvelés.
Le système exige une vérification en plusieurs étapes, combinant un mot de passe complexe avec un code envoyé par mail.
La plateforme de télépaiement s’appuie sur un dispositif d’échanges interbancaires sécurisés, permettant une transmission des informations en temps réel entre les contribuables, les banques, le Trésor et la DGI. Des pare-feu et des outils de surveillance permanents assurent une détection rapide des anomalies, tandis que des sauvegardes régulières protègent contre toute perte de données.
Chaque transaction laisse une trace immuable et les contribuables reçoivent exclusivement un reçu électronique confirmant leur paiement. La transparence est renforcée par la possibilité de consulter en ligne sa situation fiscale, ses ventes et ses transactions, avec un suivi clair grâce à des statuts distincts tels que «en attente», «approuvé», «traité» ou «rejeté».
Un tableau de bord partagé en temps réel est accessible à toutes les parties impliquées. À cela s’ajoute un encadrement juridique solide, à travers la loi sur les transactions électroniques et plusieurs textes récents qui fixent les modalités de la digitalisation des paiements publics. L’objectif est de garantir la confidentialité, l’intégrité et la disponibilité des données tout en offrant aux contribuables une visibilité totale sur leurs opérations.
L’Essor : Quelles sont les prochaines étapes ou innovations prévues pour renforcer la modernisation de l’administration fiscale ?
Hamadou Fall Dianka : La DGI a défini une feuille de route claire, avec des projets déjà en cours grâce au soutien de la Banque africaine de développement (BAD) et de la Banque mondiale. Parmi les priorités figurent l’extension des téléservices à tous les réseaux de télécommunication, notamment via des applications mobiles et des services USSD accessibles même sans internet. Le télépaiement sera élargi à d’autres canaux comme le Mobile money, les cartes bancaires et les solutions bancaires propriétaires.
En parallèle, d’importants investissements sont prévus pour moderniser l’infrastructure informatique, créer un site de relève et diversifier les sources d’énergie afin d’assurer la continuité des services. La DGI travaille également à la mise en place d’un datawarehouse avec des outils de Business intelligence et d’Intelligence artificielle (IA), pour améliorer la détection des incohérences et lutter plus efficacement contre la fraude. La digitalisation du processus de préparation et de dépôt des liaisons fiscales a déjà débuté, avec une première version mise en service en avril 2025.
À court terme, la mise en production de la plateforme d’immatriculation en ligne et la généralisation de Sigtas à l’ensemble du pays figurent parmi les priorités. La gestion et la vente des vignettes et timbres fiscaux seront également progressivement numérisées. À moyen terme, la DGI prévoit le développement d’une application mobile complète pour déclarer, payer et consulter ses impôts, ainsi que la production automatique des certificats de situation fiscale.
Au-delà des aspects techniques, il sera essentiel d’accompagner cette modernisation par des mesures réglementaires, notamment en rendant obligatoires la télédéclaration et le télépaiement pour certaines catégories de contribuables. La formation continue des agents et des usagers, les partenariats renforcés avec les banques et les opérateurs télécoms, ainsi que les campagnes de sensibilisation massives viendront compléter ces efforts. L’ensemble de ces initiatives vise à doter le Mali d’une administration fiscale moderne, transparente et performante, au service du développement économique du pays.
Réalisé par
Oumar SANKARE
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