Décryptage : L’imam et le président
Ce matin, le combat de Dicko contre Goïta, deux figures, ayant en commun le Mali.
Les luttes de pouvoir
« Ségou est un jardin où pousse la ruse. Ségou est bâtie sur la trahison. Parle de Ségou hors de Ségou, mais ne parle pas de Ségou dans Ségou » nous enseigne la romancière guadeloupéenne, Maryse Condé, dans Ségou, Les Murailles de terre. Les luttes de pouvoir ont façonné la société ségovienne comme toutes les sociétés maliennes et africaines. Elles résistent aux temps. Elles rendent compte de notre histoire précoloniale, coloniale et postcoloniale. Elles ont donné sens aux luttes d’émancipation et d’indépendance. Elles ont fait corps avec les choix politiques des artisans des indépendances africaines.
Ce sont enfin toutes ces manières de faire et de penser qui structurent nos territoires et nos luttes. Elles sont politiques, spirituelles, religieuses et culturelles. Elles permettent de comprendre les rivalités actuelles entre deux protagonistes : l’imam Mahmoud Dicko et le président de la transition, le général d’armée Assimi Goïta. Qui sont-ils ?
Les relations orageuses
Commençons par le président de la transition, le général Assimi Goïta, âgé de 42 ans. Le 18 août 2020, au nom du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), Assimi Goïta renverse le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta, affaibli par les contestations populaires du M5-RFP, Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques. Pour contenter la communauté internationale, Goïta accepte d’être nommé Vice-président de la transition. Le retraité colonel-major, Bah N’Daw, devient président de la transition. Une des finalités de Bah N’Daw est d’organiser les scrutins généraux pour revenir à l’ordre constitutionnel. Mais, les choses ne se passent pas comme prévu.
Le 24 mai 2021, Bah N’Daw est déchargé de ses fonctions par Assimi Goïta, qui devient président de la transition. Il est reproché à Bah N’Daw de ne pas reconduire le colonel Sadio Camara et le colonel Modibo Koné à leur poste ministériel respectif. Le contexte socio-politique se tend. Les relations sont orageuses entre les autorités de la transition, la société civile et les politiques.
La brouille entre Alger et Bamako
En plus des sanctions économiques et financières de la Cédéao contre le Mali, les conflits entre le Mali et la communauté internationale s’exacerbent. Le 25 septembre 2021 à New-York lors de l’Assemblée générale des Nations-unies, quatre mois plus tard, après l’accès au pouvoir de Goïta, le discours du Premier ministre Choguel Kokalla Maïga n’arrange pas les affaires. Les forces étrangères quittent le Mali. Pour combler le vide sécuritaire, le Mali s’allie avec la fédération de Russie. En novembre 2023, le Mali reconquiert Kidal, capitale de la Coordination des mouvements de l’Azawad, CMA.
Le conflit entre la CMA et les autorités de transition est à son apogée. Dans la foulée, l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger de 2015, est dénoncé. Chef de file de la médiation internationale pour le suivi de l’Accord de paix, l’Algérie tente de reprendre la main. Mais elle se brouille avec le Mali à la suite de l’invitation de l’imam Dicko pour trouver un terrain d’entente entre la CMA et Bamako. Venons-en maintenant à l’imam Mahmoud Dicko.
CFR, la nouvelle Agora
L’imam Mahmoud Dicko est ancien président du Haut conseil islamique malien, une organisation religieuse influente. Figure de proue de la contestation populaire du M5-RFP contre le régime d’IBK, l’imam Dicko est aussi le parrain de la coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Dicko (CMAS). En décembre 2023, Dicko se rend à Alger sur invitation des autorités algériennes. Motif : négocier un accord entre la CMA et les autorités de transition. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Depuis, Dicko réside à Alger. Bamako reproche à l’imam de s’associer à un projet d’accord sans son consentement. À ses 71 printemps, Dicko ne tarde pas à donner le change. 4 décembre 2025, presque à deux semaines de la date anniversaire de son départ de Bamako pour Alger, l’imam Dicko devient le « référent moral » de la Coalition des forces pour la République (CFR) dont le porte-parole est Etienne Fakaba Sissoko.
Désormais, l’imam croise le fer avec le président Goïta. La CFR incarne désormais l’Agora dans laquelle les rapports de force s’équilibrent. Une agora qui rappelle la place de l’indépendance en 2020, vénérée par les uns, détestée par les autres. Une place, devenue un espace où se jouent des rôles comme dans notre Koteba national. Des stratégies et des tactiques s’y sont échafaudées. Mais, décryptons.
Les armes du grand-frère et du jeune-frère
En réalité, l’imam (le grand-frère) et le président (le jeune-frère) n’ont pas les mêmes armes. Le jeune-frère a l’appui de ses homologues de la Confédération – Alliance des États du Sahel, AES. Le grand-frère est épaulé par le réseau d’opposants à la transition. Le jeune-frère est soutenu par les autorités de la fédération de Russie.
Le grand-frère capitalise sur son passage à la présidence au HCIM. Le jeune-frère a un avantage : président de la transition. Le grand-frère bénéficie d’un atout : le pouvoir algérien. Les qualificatifs sont nombreux. Il est certain que le combat entre le grand-frère et le jeune-frère raconte la vie politique du Mali. L’un est l’archétype de l’homme politique, qui s’adapte. L’autre est l’acteur qui ne veut pas jouer des rôles de second plan. C’est David contre Goliath. Comme à Ségou, le pouvoir est trahison. Le plus important reste le Mali. En attendant de voir, écoutons le « vieux lion », Bazouma Sissoko.
Mohamed Amara
Sociologue
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