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CEUX QUI FONT BOUREM (10): BINTOU ABDOUL SALAH TOURÉ, UN SYMBOLE TRAGIQUE DU THÉÂTRE DE BOUREM

Le soleil brillait intensément ce Samedi 13 Mars 1986 à Bourem. Il était 14 heures, lorsque le vieux camion Berliet, brinquebalant sur la route poussiéreuse, traversant les quartiers de la Commune de Bourem, s’engagea vers Gao distant de 90 Km.

Chargé à ras bord de passagers, de sacs de voyage, d’ustensiles de cuisine, d’instruments de musique, de marchandises en tout genre et de bidons de gasoil, il semblait à la fois vivant et fatigué. Les visages des voyageurs, marqués par la longue attente et la chaleur torride, exprimaient une résignation stoïque, comme celle d’une Troupe Artistique de Bourem, prête à affronter les aléas du voyage.

Le chauffeur, un homme singulier, avait osé avouer au Commandant de Cercle Issa Katilé, mais sans succès, que son véhicule n’était pas en parfait état. Pourtant, il tenait fermement le volant, ses yeux plissés contre les rayons du soleil aveuglant. Bien qu’il connaissait cette route par cœur, une étrange tension pesait dans l’air. Même lorsque les premières maisons de Gao apparurent à l’horizon, ou que les majestueux rôniers signalèrent à tout voyageur, sur ce tronçon, l’approche de la Cité des Askia ! Quelque chose semblait changer.

Les membres de la Troupe Artistique, dans le désordre ambiant, cherchaient déjà leurs instruments de musique pour célébrer leur arrivée à la Semaine Régionale des Jeunes de la 7ème Région. Soudain, des cris perçants déchirèrent le calme vespéral de Berrah, à 7 km de Gao. Le crépuscule (au sens propre comme au sens figuré) s’annonçait !

Le camion commença à osciller dangereusement, comme pris dans une danse folklorique tragique, la Danse des Possédés ! Les passagers, agrippés les uns aux autres, sentirent leur estomac se retourner alors que le véhicule se penchait sur le côté. Un nuage de poussière s’éleva, masquant la scène dans un brouillard de désespoir. Lorsque la poussière se dissipa, le tableau était apocalyptique. Le camion gisait sur le flanc, tel un animal blessé. Les passagers, étourdis et couverts de poussière, commençaient à émerger des décombres. Certains gémissaient de douleur, d’autres criaient à l’aide. Les sacs et les bidons étaient éparpillés autour, créant un paysage de désolation.

Les villageois, alertés par le vacarme, accoururent pour porter secours. Ils aidèrent les blessés à sortir des débris. Quant au chauffeur, il était sorti de la cabine, son visage boursouflé, marqué par la douleur et la culpabilité, tandis que son apprenti avait perdu la vie, la fragilité de la vie ayant passée par là !

Les heures qui suivirent furent un tourbillon de chaos et de confusion. Les blessés furent rapidement transportés vers l’Hôpital de Gao et dont cinq qui ne survécurent pas à l’accident (La Liste, plus en bas de ce texte). Une sixième victime, Bintou Abdoul Salah Touré, restait piégée dans le bric-à-brac du camion. Ce Samedi 13 Mars, elle avait 13 Ans ; une tragédie se déroulait sous les yeux de tous !

Bintou, la jeune artiste de Bourem, se verra amputée d’un bras pour avoir la vie sauve. Ainsi, la Semaine Régionale de Gao et l’Art de Bourem venaient de donner naissance à un symbole tragique.

Trop longtemps, Bintou n’a jamais eu l’opportunité d’utiliser une prothèse pour son bras droit, ce qui aurait pu l’aider dans ses activités quotidiennes et lui épargner une certaine stigmatisation. Malgré cela, cette jeune adolescente pleine de vie et d’optimisme ne laissait pas ses limites la définir. Sa passion débordante pour le théâtre, même à cet âge, la poussait à rêver grand.

En 1988, deux ans plus tard, elle était prête à revenir pour la Semaine Régionale des Jeunes, mais ses parents et certains encadreurs l’en ont dissuadée. Ce n’était que partie remise. En 1990, elle décide de remettre ça ! Au point d’être présélectionnée même pour la Biennale Artistique et Culturelle des Jeunes du Mali, un événement qui, malheureusement, n’aura jamais eu lieu, en raison des bouleversements politiques liés à la chute du Général Moussa Traoré. Toutefois, elle a reçu un Prix Spécial du Consulat Algérien à Gao.

Résiliente et déterminée, Bintou est devenue une source d’inspiration pour l’art et le théâtre de Bourem. Son parcours, loin d’être un long fleuve tranquille (le théâtre ne nourrissant pas son homme, veuve à un âge précoce, et une nation qui oublie ceux qui s’engagent au service des autres, sans médaille, ni reconnaissance) illustre néanmoins une formidable force et passion, transformant les défis liés à son handicap en opportunités.

Elle a prouvé ainsi, durant son jeune âge à Bourem, que la scène est un espace où chacun peut s’épanouir, quels que soient les obstacles de la vie. Pour soi. Pour Bourem. Pour la Postérité !

PS : Cette Chronique saturnale qui peint les Hommes et Femmes qui font Bourem aurait pu être titrée pour les 5 autres victimes qui ne sont plus de ce monde , depuis ce 13 Mars 1986 :

* Hadeye Youba de Bamba
* Mata Touré de Bamba
* Almoukamatou Dogga de Bourem Ville
* Oumou Mohamed Lamine de Bourem Ville
* Dendera Doudou de Bourem Ville

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