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Contribution : De l’islam de la conviction à un islam de contrainte

Depuis septembre 2025, les éléments du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) mènent une série d’attaques d’une extrême brutalité. Leur objectif est d’entraver l’approvisionnement du pays en carburant, notamment les régions du sud et de l’ouest, en bloquant l’approvisionnement en carburant depuis le Sénégal, la Côte-d’Ivoire ou la Guinée. Ces actions constituent visiblement une volonté expresse d’asphyxier l’économie du Mali et d’accentuer la pression sociale sur les autorités.

Elles se manifestent à travers des attaques incendiaires contre les camions citernes. Elles n’ont pas non plus épargné les opérateurs économiques et de simples citoyens dont les véhicules ont été ciblés et calcinés plusieurs victimes.

Dans ce chaos qu’il veut instaurer, le JNIM, par la voix son porte-parole, Bina Diarra alias Abou Houzeifa Al-Bambari (le bambara), impose une gouvernance indirecte de ce qu’il qualifie de la charia (loi avec le référentiel musulman).

Le groupe oblige désormais le port du hijab (voile étiqueté religieux) aux passagères de tous les moyens de transport, y compris les motocyclettes (deux ou quatre roues), sur les axes routiers dépendant de la capitale Bamako au reste du pays.  Le groupe entend clairement isoler le Mali de la Côte-d’Ivoire, du Sénégal et de la Guinée qui sont la sève nourricière de l’économie nationale à travers les ports par lesquels, le Mali s’approvisionne ou achemine ses importations. Toutes ces violences sont commises au nom de l’Islam. Mais de quel Islam parle-t-on ?

 L’Obéissance n’est pas la contrainte en Islam- Le terme «tâ’a» (obéissance), signifie, en arabe, «se laisser guider et se soumettre». Cette soumission se fait librement et volontairement puisque le substantif «taw’iyya» signifie «la soumission volontaire et le consentement donné pour accepter les décisions d’autrui, avec libre choix et totale satisfaction».

Ainsi, le terme tâ’a, par essence, s’oppose à toute forme de contrainte. L’obéissance implique la responsabilité puisque l’homme ne peut pleinement se soumettre aux ordres qu’en étant convaincu du bien-fondé de ce à quoi l’on obéit. Dans le contexte malien, c’est l’absence de choix qui pousse les passagères à se plier aux injonctions du JNIM. Vouloir justifier l’imposition du hijab aux passagères relève d’une dérive grave et d’une instrumentalisation éhontée des préceptes islamiques.

Le Coran lui-même rappelle la portée spirituelle, et même non coercitive, de l’obéissance.  »Ô Muhammad, dis : «Obéissez à Dieu et à Son messager». S’ils se montrent récalcitrants, qu’ils sachent que Dieu n’aime point les impies (Sourate 3, verset 32) ». «Obéissez à Dieu et au messager, afin d’obtenir la miséricorde de Dieu (sourate 3, verset 132)». Ces versets démontrent à suffisance que l’ordre d’obéir à Dieu implique de se soumettre librement au Créateur et découle de la foi et du libre arbitre non de la peur et de la contrainte. C’est pourquoi le verset (3, 32), dans lequel Dieu ordonne d’obéir à lui ainsi qu’à son prophète, évoque une obéissance continue qui se fait par choix libre. La suite du verset «s’ils se montrent récalcitrants…».

Cette mention conditionnelle montre que l’obéissance doit être pleinement consentie. Une des finalités du texte est que le prophète de l’Islam n’a reçu aucun mandat de contraindre qui que ce soit. Dans un contexte de reconfiguration des groupes terroristes, imposer une tenue vestimentaire n’a rien de religieux. C’est une tentative d’asservir (abid) une Nation et non de servir Dieu. L’esclave à l’obligation d’obéir à son Maître. Celui qui se soumet de par son statut de serf doit obligatoirement obéir à son maître et n’a pas le droit de lui désobéir : sa soumission se fait donc en vertu d’une relation fondée sur la contrainte, dans laquelle il n’a pas le choix entre l’acceptation ou le refus.

À l’inverse, la soumission à Dieu se fait en vertu d’une relation fondée sur le libre choix. Donc, un individu humain (abd Allâh) peut ne pas obéir à Dieu. Il a le choix entre l’acceptation et le refus d’être croyant. L’islam est avant tout, une question de confiance et de libre personnel. On devient musulman par une soumission consciente et volontaire à Dieu. Toute tentative d’imposition est antinomique à ce principe ô combien important dans l’Islam dès ses origines comme le montre le verset suivant : « Ô croyants ! Craignez le Seigneur, parlez avec droiture. Dieu accordera un mérite à vos actions et effacera vos fautes. Celui qui obéit à Dieu et à son messager jouira de la félicité suprême (XXXIII, 70-71)».

Déconstruire la violence par l’argumentaire religieux- « Nulle contrainte en religion ! Car le bon chemin s’est distingué de l’égarement.» (Sourate 2, verset 256). Il est essentiel de rappeler que la religion ne détient pas le monopole de la violence légitime, c’est l’État, qui en a le pouvoir. La religion déclare ce qui est interdit (harâm), mais n’interdit pas (l’Islam ne joue pas le gendarme des conduites).

L’État, au contraire, édite des lois, interdites et sanctionnées, sans se prononcer sur le sacré. Sa légitimité tient justement à sa neutralité vis-à-vis des religions et des civilisations. Les terroirs et les aires culturelles au Mali reposent sur des valeurs propres, dont certaines comme la tolérance, le pardon, le respect de la dignité humaine sont communes à tous. La pluralité de la pensée, des civilisations et des croyances est une réalité propre aux Maliens. Vouloir imposer une vision unique à l’ensemble de la population, c’est trahir l’esprit de l’État-nation, et aussi dénaturer une religion dont le fondement même est l’expression plurielle. Les citoyens exercent les rites librement en voulant un culte au Dieu auquel ils croient, et il y en a même qui ne croit à aucun Dieu.

Il ressort d’une lecture rigoureuse des textes islamiques que tout savant musulman est censé connaître que le jugement qui concernera tous les individus est pris en charge par Dieu, le jour du jugement dernier. Ce jugement est strictement individuel et il n’existe pas de jugement collectif (Mohammed, 2019).

Les exemples d’intervention religieuse sur ce point sont légion dans des pays comme la Mauritanie ou le Maroc. Ici, au Mali, les religieux de la Région de Gao s’opposaient à la charia imposée par les groupes terroristes. Aussi, des organisations maliennes de la société civile, à l’instar de la Coalition citoyenne dirigée par l’ancien Premier ministre Ag Hamani ont elles proposé des canaux de discussion avec ces extrémistes religieux. Tout cela atteste de la disponibilité de l’expertise nationale.

L’unité de la Nation doit prévaloir aujourd’hui sur toute autre considération. Les autorités dirigeantes en sont garantes. En outre, l’autorité de l’Islam se rapporte à la conscience, à la liberté d’esprit alors que le pouvoir de l’État a pour référentiel le droit positif.

Au total, le Mali présente aujourd’hui une scène de violence très inhabituelle dont les conséquences et les incidences sont jusqu’ici difficiles à évaluer. Plusieurs actions violentes de la part des entrepreneurs de la violence sont nourries au nom du référentiel musulman, de la volonté indépendantiste et de la criminalité organisée.

 Cette confusion en termes de référentiels nécessite un travail académique rigoureux, parallèlement à l’action militaire qui, au demeurant, éprouve des difficultés à s’asseoir, à elle seule, une paix et une stabilité durable.  Les Ulémas du Mali sont plus qu’interpellés dans le champ de la déconstruction de l’action violente qui veut se légitimer au nom de l’Islam.

La multiplication des espaces substantiels de déconstruction des idéologies extrémistes, animés par des théologiens et experts de différents domaines habilités à cet effet, serait une arme redoutable pour mettre fin de manière irrévocable à cette tragédie humaine. Aussi, le débat doctrinaire tant souhaité par certains Maliens pourrait-il naître de ces espaces.

La récente déclaration du Haut conseil islamique, même si elle s’est gardée de condamner les actions violentes du JNIM, pourrait être le départ d’une action cohérente contre l’extrémisme religieux drapé dans la criminalité organisée. En tout état de cause, l’idéologie se déconstruit par l’idéologie.

Dr Aly Tounkara, directeur exécutif du Centre des études sécuritaires et

stratégiques au Sahel- CE3S

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