Dans un Etat failli en reconstruction / Les affabulations, conspirations et hypocrisies riment-elles ?
En mars 2012 après le coup d’Etat contre le pouvoir du Président Amadou Toumani Touré, le Mali bascule dans une série de crises multidimensionnelles profondes et complexes. De janvier 2013 à ce jour, le pays est en proie à une spirale de violences orchestrées par une horde de terroristes sans foi, ni loi. Ces violences ont fait des milliers de morts civils et militaires, des mutilés à vie et des déplacés en masse, des populations poussées à se faire un sang d’encre dans des camps de refugiés, tant à l’intérieur du pays que dans nos Etats voisins.
L’élection du Président Ibrahim Boubacar Kéïta, le 15 août 2013, avait redonné de l’espoir à tout un peuple. Mais son pouvoir gangrené, au fil des ans, par la corruption à ciel ouvert, le népotisme, la gabegie financière, le culte de la personnalité et par une justice aux ordres, etc., a fini par plonger davantage le pays, dans un état chaotique marqué par une économie exsangue, un tissu social déchiqueté par les conflits inter-communautaires à la faveur des intrusions terroristes, le tout exacerbé par une insécurité généralisée, endeuillant des populations des villes et des campagnes notamment au Nord et au Centre du pays. Qui se retrouvent dans une situation de désolation et de désespoir.
Fallait-il laisser le pays sombrer dans cet état de faillite continu ? Etait-il juste de voir l’Etat du Mali se disloquer jour après jour surtout quand on sait qu’il était occupé, en 2013 dans ses 2/3, par une bande de terroristes et de narco-trafiquants. Devrait-on laisser ce pays menacé de partition par les séparatistes de la minorité touarègue de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA), soutenus et protégés par la communauté internationale ? Certainement pas !
Mais c’était le contexte très difficile dans lequel se trouvait l’Etat du Mali et ses institutions, quand le coup d’Etat du 18 août 2020, contre le Président Ibrahim Boubacar Kéïta, est intervenu. C’était après des mois de contestations populaires dirigées par le M5-RFP, un regroupement de partis politiques, d’associations de la société civile et de leaders religieux, etc.
Le coup d’Etat du 18 août 2020, parlons-en !
Le 18 août 2020, faut-il le rappeler, le Mali bascule dans un coup d’Etat, installant le pays dans une période de Transition dirigée par le Président Ba NDaw. La Charte de la Transition est adoptée le 12 septembre 2020, fonctionnant concomitamment avec la Constitution de 1992 afin de maintenir la continuité de l’Etat et de ses institutions. A partir du 24 mai 2021, le pouvoir change de main à la suite de la destitution du Président Ba NDaw, pour faute politique grave. Puis, le pouvoir vire dans une Transition dite de Rectification.
Le Colonel Assimi Goïta, le rédempteur et le sauveur, est solennellement investi le 07 juin 2021, dans ses nouvelles fonctions de Président de la Transition, Chef de l’Etat, par la Cour Suprême. Le même jour, il nomme son Premier Ministre, l’intrépide homme politique, Dr Choguel Kokalla Maïga, le leader charismatique du M5-RFP. Ce coup d’Etat acclamé et légitimé par la majorité du peuple malien qui ne croyait plus en ses dirigeants, ces trente dernières années. Il venait ainsi, de marquer un nouveau départ dans la conduite des affaires publiques du pays. Mais cette arrivée au pouvoir de la Transition de Rectification, incarnée par les cinq Colonels, ne sera pas vue de bon œil par la communauté internationale dont la France, qui s’y opposera par des invectives, des menaces et des sanctions injustes et inhumaines.
C’est ainsi que l’ancienne puissance coloniale sollicitera la bienveillance de certaines institutions sous-régionales et supranationales comme la CEDEAO, l’UEMOA et l’Union Africaine, afin d’infliger, en toute illégalité, des sanctions politiques (interdiction de voyage des membres du CNT et du Gouvernement), économiques (embargo sur des équipements, certaines marchandises et denrées) et financières (gel des avoirs financiers d’environ 150 personnalités), contre les auteurs du coup d’Etat et contre le Mali, un Etat déjà très fragilisé, en proie à de multiples défis.
En réalité, ce que le Mali a connu le 18 août 2020, est un coup d’Etat et non un putsch parce qu’il venait parachever une révolution populaire de plusieurs mois, du M5-RFP ; le putsch désignant un coup d’Etat réalisé par la force ou le cliquetis des armes. Pour le cas d’espèce, IBK est arrêté sans qu’aucun coup de feu ne soit tiré et sans qu’aucune goutte du sang malien ne soit versée à cet effet.
Ce coup d’Etat, pour les nombreux griefs liés à la corruption et à l’incapacité des gouvernants à respecter les droits fondamentaux des citoyens, à faire respecter les obligations constitutionnelles et à mener à bien des réformes, était devenu nécessaire, donc un mal nécessaire. Comment un tel régime de transition peut-il être qualifié de dictatorial et d’illégitime, lorsque c’est une frange importante du peuple malien qui l’accompagne ? Dans une clameur exceptionnelle, ce peuple a su défier ses différents détracteurs qui voulaient lui infliger l’outrage le plus attentatoire, le fait d’avoir soutenu les auteurs de ce coup d’Etat.
Sans perdre de vue sur l’essentiel, il s’agit aujourd’hui, de se retrouver au nom d’un sursaut national tant voulu par le Président de la Transition, le Colonel Assimi Goïta, pour reconstruire un Etat malade, totalement mis à terre par les acteurs politiques de la mouvance démocratique des années 90, que d’aucuns qualifient d’affabulateurs, de conspirateurs et d’hypocrites à la solde d’une puissance étrangère dont l’agenda n’est plus un secret. Rejoints par des partis politiques et certains leaders religieux du pays, ils tentent, depuis des mois par tous les moyens à leurs dispositions et avec toute leur intelligence, de déstabiliser la République et de faire échec au référendum du 18 juin 2023.
Une nouvelle Constitution est-elle opportune maintenant ?
Lorsque la Transition s’installait en août 2020, le Mali était dans un piteux état de démembrement avancé. Tout était urgent à affronter afin de relever les nombreux défis politiques, institutionnels, sécuritaires et géopolitiques, au risque de voir le pays disparaitre. C’est fort de cette triste réalité, que des réformes politiques et institutionnelles sont engagées par les Autorités de la Transition afin de réussir la reconstruction d’un pays en faillite, d’où sa refondation fort exprimée par le peuple malien, lors des Assises Nationales de la Refondation (ARN), tenues en décembre 2021.
Dans cette foulée, l’idée de l’élaboration d’une nouvelle Constitution pour le Mali s’est imposée, puis réitéré à maintes occasions par tout un faisceau d’acteurs civils, politiques et militaires, tous autour d’un même objectif. Celui de parvenir à instaurer une paix durable soutenue par des institutions politiques et institutionnelles fortes et stables. D’où la nécessité de doter l’Etat du Mali, des leviers pouvant lui permettre de se relever de sa faillite et de retrouver la plénitude de ses attributs en qu’Etat reconstruit, capable de redonner confiance au peuple souverain du Mali aspirant à un retour de la stabilité, de la sécurité, de la quiétude et à une justice égale pour tous. Mais aussi, à la renaissance d’une gouvernance vertueuse et de rupture avec l’ordre ancien et basée sur la transparence de la gestion des affaires publiques. Toutes choses que prévoit cette nouvelle Constitution.
La particularité de cette Constitution, est qu’elle a été pour la première fois dans l’histoire du Mali, exclusivement rédigée par des experts maliens contrairement à toutes les autres Constitutions antérieures. Berceau de grands empires, le Mali est héritier d’un peuple intelligent, plein d’imagination. Albert Eisenstein ne disait-il pas que, l’imagination est plus importante que la connaissance qui est limitée, tandis que l’imagination elle, entoure le monde.
Chaque malien doit se sentir concerné par cette Constitution qui est une fierté nationale. Elle apporte dans son contenu, beaucoup d’innovations dans ses articles 31, 42, 46 et 106, etc., relatifs respectivement, aux langues nationales qui deviennent des langues officielles, aux richesses et ressources naturelles comme propriétés exclusives de l’Etat et à l’interdiction faite à la migration des Députés et des Sénateurs, etc.
Les maliens se sont en appropriés dans l’enthousiasme, à l’issue de longues semaines de vulgarisation qui avaient pris l’allure d’une véritable campagne tant à l’intérieur, qu’à l’extérieur du pays. Le vote du dimanche 18 juin 2023 confirmera sans doute, cette appropriation et cette adhésion populaire à cet instrument inédit de souveraineté retrouvée ! Comme pour dire que le projet de nouvelle Constitution est opportun, voire nécessaire dans le contexte actuel du pays car celle de 92 ayant connu ses limites.
Dr Allaye GARANGO, enseignant chercheur-Ensup/ Bamako (Mali)