Décès de Younoussi Touré : La Nation pleure un grand intellectuel, rigoureux, loyal et honnête !
Les obsèques sont prévues aujourd’hui à l’Hippodrome. Sans les hommages honorifiques de la Chancellerie nationale, une de ses volontés
“Inna lillahi wa inna ilayhi raji’un Allahouma ajirni fi musibati”. Cette formule islamique tirée de la sourate Al Baqara verset 156 et prononcée lors d’un malheur a encore frappé le Mali, dans la cour des grands commis ayant servi la nation, plus précisément dans la famille Touré de Niodougou, cercle de Niafunké. Elle peut se traduire par : “C’est à Dieu que nous appartenons et c’est à Lui que nous retournons”. Eh oui, Younoussi Touré est décédé tôt dans la matinée du lundi 17 octobre 2022 à Paris, en France, des suites de maladie. La terrible nouvelle fut annoncée par son parti politique, l’URD, et, comme une traînée de poudre, elle s’est répandue dans le monde entier à travers la toile. Fondamentalement, le choc est immense à Bamako et à l’intérieur du Mali tant Younoussi fut le prototype même du commis de l’Etat et d’homme politique travailleur, honnête et resté digne jusqu’au bout du souffle. Sur ses 81 ans sur terre, près de 50 ont été consacrés à sa patrie et à l’Afrique, deux entités qui pleurent aujourd’hui un grand intellectuel. Cet après-midi, Younoussi reposera éternellement dans sa dernière demeure au cimetière de Sotuba au terme d’un hommage mérité à son domicile bamakois au quartier Hippodrome.
Enfant exemplaire du village, il le fut ! Brillant élève et étudiant modèle, il le fut ! Cadre fonctionnaire de l’Etat intègre, il le fut ! Homme politique honnête et visionnaire, il le fut ! Notabilité humble et fervent musulman, il le fut ! Oui, Monsieur Younoussi Touré fut puisqu’il n’est plus de ce monde. Le natif de Niodougou a perdu, lundi matin dans un hôpital de Paris, le seul combat que nul ne gagne, celui contre la mort.
Une lourde perte
Certes, Younoussi Touré n’a pas été l’homme politique le plus influent, encore moins le meilleur fonctionnaire que le Mali ait connu, mais la nouvelle de sa disparition a eu l’effet d’une bombe qui renvoie aux décès de ses illustres devanciers au “Royaume de la vérité”, à savoir Modibo Kéïta, Moussa Traoré, Amadou Toumani Touré, Soumaïla Cissé, Ibrahim Boubacar Kéïta, Soumeylou Boubèye Maïga et autres.
Le monde politique d’ici et d’ailleurs, sa grande famille politique, l’URD, et l’ensemble du peuple malien ont accueilli cette perte comme un coup dur pour la nation tant furent énormes les œuvres de Younoussi pour son pays et surtout que ses concitoyens ont toujours besoin de ses services.
“A sa famille durement éplorée et à la section URD de Niafunké, le Pr. Salikou Sanogo et l’ensemble des membres du BEN URD présentent leurs sincères condoléances. Dors en paix Monsieur le Président, le peuple Urd ne t’oubliera jamais !” Telle fut la réaction de son parti dès l’annonce du décès de Younoussi.
L’Adéma/PASJ salue la mémoire d’“un grand serviteur de l’Etat, une personnalité politique de premier plan, dont la contribution à la réconciliation nationale, à la cohésion sociale et au rassemblement des forces vives du pays a été très importante”.
Le parti de l’Abeille juge Younoussi comme “un travailleur acharné, loyal, fidèle, modèle achevé de compétence et de dévouement à la cause nationale”. Puis, l’hommage de l’Adéma confirme ce que toute le monde sait déjà : “Younoussi Touré avait une parfaite maîtrise de tous les dossiers de l’Etat”. Et de conclure que “le Mali vient ainsi de perdre l’un de ses fils illustres. Cette perte lourde, brutale et inattendue intervient à un moment crucial dans la vie de la nation, où la communion et l’entente de tout le peuple malien sont souhaitées pour surmonter la perte des frères et sœurs, dont la contribution est capitale dans l’atteinte des objectifs de développement du pays”.
De son côté, Me Demba Traoré, membre du BEN-URD et très proche du défunt, couche sur papier un témoignage émouvant : “Que d’épreuves pour le peuple de l’URD ! Le choc est terrible, indescriptible. Oh quelle tristesse de te voir perdre l’ultime bataille contre la maladie à un moment où la nouvelle génération avait encore besoin de ton immense expérience d’homme d’Etat plein de sagesse, de militant émérite, de dirigeant exemplaire et respecté qui a dédié son combat politique à la réconciliation nationale, à la justice et au développement de son pays, le Mali. Tu as dirigé des institutions nationales et sous-régionales avec honneur et dignité. Cadre d’une compétence et d’une probité morale irréprochables, tu as marqué toutes et tous par ta simplicité, ton humanité, ta grande sagesse. Comment pourrais-je oublier ton humilité, ta grande capacité d’écoute et le respect que tu as toujours voué aux autres ? Tu as dirigé notre parti, l’URD, avec courage, loyauté, fidélité sans jamais t’éloigner des règles du jeu démocratique, avec comme seule bréviaire la vérité, rien que la vérité. Ton leadership, ta carrière et ta collaboration unanimement appréciés et admirés, ta complicité sinon ta complémentarité avec ton défunt et inoubliable frère Soumaïla Cissé, ont fait de l’URD le parti le mieux structuré, le mieux implanté et le plus envié sur l’échiquier politique national. Oh que de sacrifices consentis ! Je t’ai vu arpenter les couloirs et les salles de réunion de l’Assemblée nationale pour t’acquitter, dans les règles de l’art, de tes devoirs de parlementaire, je t’ai vu faire le tour du Mali pour visiter tes camarades de l’intérieur, parfois dans des conditions de voyage très difficiles, mais avec enthousiasme et détermination”.
Cet extrait du témoignage associé à d’autres tout aussi poignants d’amis et aux communiqués d’hommage des partis (dont nous faisons ici l’économie) décrivent à suffisance les qualités socio-humaines, professionnelles et politiques de Younoussi Touré de son vivant.
Homme politique affirmé
Justement, l’homme a fait œuvre utile tout au long de son existence dans ce monde des mortels de sa naissance le 1er janvier 1941 à Niodougou à sa mort le 17 octobre 2022 à Paris.
Sur son cursus scolaire et universitaire, les archives nous rappellent que Younoussi Touré a suivi ses études primaires et secondaires à Niafunké, à l’Ecole des artisans soudanais, à l’Ecole normale de Sévaré, à l’Ecole normale de Katibougou et au lycée Askia Mohamed. Il commence ses études universitaires en 1963 à l’Université d’Abidjan, d’où il sort en juin 1965 avec le diplôme d’études économiques générales (DEEG). Il continue ses études à l’Université de Dakar à l’Ecole de formation technique de la Banque de France. Il est titulaire d’un diplôme d’études supérieures spécialisées en sciences économiques.
A l’Université de Dakar, il est secrétaire général de l’Association des étudiants et stagiaires maliens à Dakar (AESMD). A ce titre, il participe à la grève qui dénonce le coup d’Etat militaire contre le président ghanéen Kwamé Nkrumah en 1966.
Sur sa carrière professionnelle, Younoussi Touré a travaillé à la Banque centrale du Mali dont il a été le directeur général, avant de devenir, plus tard, conseiller spécial du gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bcéao).
Avec l’avènement de la démocratie multipartite au Mali, Younoussi Touré est nommé comme le 1er Premier ministre de l’ère démocratique le 9 juin 1992 par le président élu Alpha Oumar Konaré. Mais, suite à des remous sociaux, il démissionne au bout de dix mois, le 12 avril 1993.
Alors, Younoussi reprend du service dans son domaine de prédilection à savoir l’économie et la monnaie. En effet, en 1995, il est nommé commissaire de l’Uémoa suivant Acte additionnel n°02/1995 portant nomination des membres de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine. Il figurait sur la même liste que d’autres sommités comme Justin Damo Baro (Burkina Faso), Kalou Doua Bi (Côte d’Ivoire), Laouali Baraou (Niger), Ousmane Seck (Sénégal) et Yaovi Prosper Adodo (Togo). Selon des connaisseurs, c’est la meilleure combinaison de commissaires que la Commission de l’Uémoa ait eue.
Durant son mandat, le représentant du Mali qu’il était a rehaussé l’image du pays en laissant des traces indélébiles grâce à des résultats appréciables notamment au sein du Département des politiques économiques et de la fiscalité intérieure.
Ce Département a en charge les politiques communes de l’Union, dans les domaines ci-après : l’harmonisation du cadre juridique et comptable des finances publiques ; l’harmonisation des fiscalités intérieures, directes et indirectes et la mise en œuvre du programme de transition fiscale; la surveillance multilatérale de la convergence et des performances des politiques macro-économiques ; le suivi de la politique monétaire, des marchés financiers et la microfinance ainsi que la mise en œuvre de la liberté de circulation des capitaux ; l’appui aux réformes des systèmes de passation des marchés des Etats membres ; l’assistance aux Etats membres dans le cadre des négociations avec les institutions financières internationales les analyses, études et prévisions économiques ; le renforcement des capacités des Etats membres en matière d’élaboration et d’évaluation de politiques économiques ; et la production de statistiques pour les organes et les institutions spécialisées de l’Union et l’amélioration de la performance des systèmes statistiques nationaux.
Après l’Uémoa, Younoussi Touré regagne le bercail pour reprendre les activités politiques.
En 2002, son parti l’Adéma/PASJ, avec comme candidat Soumaïla Cissé, perd l’élection présidentielle. En 2003, il quitte, avec Soumaïla Cissé, le navire Adema miné par une grave crise sur fond de trahison.
Membre fondateur de l’Union pour la République et la démocratie (URD), il en fut le président pendant onze ans (2003-2014) et le président d’honneur jusqu’à son décès (2014-2022).
En août 2007, Younoussi Touré se porte candidat aux élections législatives dans la circonscription de Niafunké. Il est élu dès le 1er tour avec son colistier Baba Oumar Boré. En septembre 2007, il est élu premier vice-président de l’Assemblée nationale.
Le 8 juin 2012, Younoussi est désigné président de l’Assemblée nationale suite au coup d’Etat militaire de mars 2012 qui a propulsé Dioncounda Traoré (alors président de l’Assemblée nationale) comme président par intérim du Mali. Il préside l’hémicycle jusqu’aux élections législatives de novembre 2013. Il s’abstient de se présenter à sa propre réélection à Niafunké.
Un an plus tard, en novembre 2014, lors du 3è congrès ordinaire de l’URD, Soumaïla Cissé lui succède à la présidence de l’URD ; il fut désigné président d’honneur avec une acclamation nourrie. Ainsi s’éteignait la carrière politique active de l’enfant de Niafunké.
Financier et “écrivain”
Pour ouvrir une parenthèse, Younoussi était l’époux d’une femme politique engagée au sein de l’Adéma/PASJ, en la personne d’Alimata Traoré, également un grand commis de l’Etat. Née le 14 novembre 1948 à San, Alimata Traoré est détentrice d’une maîtrise en économie à l’Ecole nationale d’administration de Bamako (ENA) et d’un diplôme d’études supérieures spécialisées en banque. Elle fut PDG des Huileries cotonnières du Mali (Huicoma), puis de la Société nationale de tabac et allumettes du Mali (Sonatam). Elle occupe le poste de ministre de l’Industrie, du Commerce et des Transports du 21 février 2000 au 14 juin 2002 puis celui de présidente du conseil d’administration de l’Agence nationale de l’aviation civile du Mali (Anac) de 2009 à 2016. Donc, une famille de cadres publics et de personnalités politiques.
Pour en revenir à Younoussi Touré, l’autre facette de sa vie ignorée par ses compatriotes, c’est que le banquier n’a jamais quitté la sphère des finances qu’il a embrassée à nouveau depuis qu’il s’est retiré de la scène politique.
En 2019, Younoussi intègre la Caisse régionale de refinancement hypothécaire (CRRH-Uémoa) et en devient le président du conseil d’administration. Alors, bienvenue aux bons résultats. Pour preuve, la CRRH-Uémoa a tenu le 20 mai 2020, sa 9e assemblée générale ordinaire et sa 11e assemblée générale extraordinaire, par visioconférence, sous la présidence de son PCA, Younoussi Touré.
L’assemblée générale ordinaire a approuvé les comptes de la CRRH-Uémoa pour l’exercice 2019 avec un résultat net de 1 243 millions de F CFA, et décidé de son affectation en réserves et report à nouveau. Elle a autorisé au titre du programme d’activités 2020 de la CRRH-Uémoa, l’émission d’obligations, à concurrence de quatre-vingt milliards (80 000 000 000) de FCFA, pour le refinancement de prêts au logement consentis par les banques actionnaires.
La CRRH-Uémoa est une initiative régionale en faveur d’un meilleur financement de l’habitat dans les pays de l’Uémoa. Son actionnariat est constitué de 55 banques commerciales de l’Union ; de la Boad, première institution de financement à long terme de l’Uémoa ; de la Société financière internationale (SFI), filiale du groupe de la Banque mondiale pour le financement du secteur privé ; de la Banque d’investissement et de développement de la Cédéao (BIDC), institution de financement à long terme de la Cédéao, et de Shelter Afrique, institution continentale dédiée à la promotion et au financement de l’habitat en Afrique. La CRRH-Uémoa offre aux établissements de crédit de l’Uémoa, la possibilité d’accéder à des ressources longues, pour le refinancement des prêts à l’habitat consentis à leurs clients, et à des taux compétitifs.
Au 31 décembre 2019, la CRRH-Uémoa a, en presque huit années d’activités opérationnelles, mobilisé un total de 200,3 milliards F CFA de ressources longues, pour le refinancement de prêts aux logements consentis par 35 banques actionnaires couvrant les 8 pays de l’Uémoa.
La CRRH-Uémoa est toujours bien notée depuis 2015 par les agences de notation. Ce qui fait d’elle, depuis 2015, l’un des risques les plus sûrs sur le marché financier de l’Uémoa. Et la touche Younoussi Touré y est pour beaucoup. Pour l’honneur du Mali !
Dernier secret de la vie de Younoussi Touré, c’est qu’il était écrivain à ses temps libres. Il est l’auteur du livre “L’enfant du lac Takiti au Mali”. Dans ce récit biographique de 360 pages, paru en mars 2017, l’auteur se fait conteur pour partager le film de sa vie, “cet enfant qui a saisi la balle au rebond de l’histoire avec courage et curiosité depuis son village natal de Niodougou”.
Dans le résumé, on peut lire : “Tout y passe : les amis, l’agriculture, la pêche, l’école coloniale, les injustices, la débrouille, l’université, le hasard ramassé comme une certitude au bord du chemin. En passant par les luttes estudiantines, la recherche obstinée de l’indépendance de son pays comme programme politique, une indépendance qu’il vivra de l’intérieur avec enthousiasme, comme jeune fonctionnaire au ministère du Plan”.Le tome 2 de cet ouvrage était attendu quand est tombée la nouvelle du décès de Younoussi Touré.
La dépouille de l’illustre disparu est arrivée hier à 14 h 30 à Bamako à bord du vol Air France et les obsèques sont prévues pour cet après-midi à 16 h 30 chez lui au quartier résidentiel de l’Hippodrome. Sans les hommages honorifiques de la Chancellerie nationale, une de ses volontés.
El Hadj A.B. HAIDARA