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Dr. Hamed Sow rend hommage à l’ancien président de la République (2002-2012) : ATT fut un Grand Homme d’Etat qui se caractérisait avant tout par son humilité.

Humble dans son rapport au pouvoir. Humble dans son rapport aux autres. Humble jusque dans sa manière de servir et de se retirer

Après le décès du Président Amadou Toumani Touré, le 10 novembre 2020, le plus bel hommage que j’ai lu ne venait pas d’un allié, mais de l’un de ses pires adversaires politiques : le docteur Oumar Mariko. L' »enfant terrible » de la politique malienne écrivait, en substance :

« ATT, l’homme qui ne pouvait pas détester, même ses pires ennemis. »

Mariko racontait cette visite à Dakar, durant l’exil du président, au cours de laquelle il lui avait dit, en face : « Koro, je fais partie de ceux qui ont contribué à votre chute. »

Et ATT de lui répondre simplement : « Dogo, je le sais, mais malgré tout, tu restes un jeune frère. »

Cette phrase, venue d’un homme blessé mais sans haine, en dit plus sur la nature profonde du président que bien des discours officiels.

Le ciment d’une sincère amitié

Je ne faisais pas partie du premier cercle des proches du Président Amadou Toumani Touré, ni un compagnon de la première heure. Et pourtant, comme d’autres dirigeants maliens, il a profondément marqué ma trajectoire.

À l’occasion du cinquième anniversaire de sa disparition, je ressens le besoin de lui rendre cet hommage : celui d’un témoin que l’illustre disparu a gratifié d’une sincère amitié. ATT savait que je n’étais pas un courtisan, que j’avais accepté de le rejoindre en renonçant à gagner dix fois moins que ce que je gagnais en Belgique à l’époque, mais que je partageais avec lui un objectif commun : servir notre pays.

Tout commence à l’approche de l’élection présidentielle de 2002. J’étais frappé par le nombre de mes amis sérieux, exigeants, souvent très critiques en politique, qui se disaient prêts à le soutenir sans hésitation. Je me posais alors une question simple : Qu’a donc cet homme de si particulier pour que tant de personnalités, aux parcours si différents, convergent vers lui ?

Pour y répondre, il faut revenir à un moment fondateur de notre histoire récente. En 1991, le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré met fin à vingt-deux (22) ans de dictature du général Moussa Traoré. En seulement quatorze (14) mois de transition, il organise une Conférence nationale rassemblant toutes les forces vives de la Nation, fait adopter une nouvelle Constitution, supervise des élections législatives et une élection présidentielle pluraliste, sans se présenter lui-même et il remet le pouvoir, au président démocratiquement élu, Alpha Oumar Konaré.

Dans une région où tant de dirigeants s’accrochent à leur fauteuil, ce geste de retenue a fait de lui une exception. Il aurait pu garder le pouvoir. Il a choisi de passer le flambeau. Dix ans plus tard, après avoir demandé sa retraite de l’armée, ATT se présente à l’élection présidentielle. Il la remporte face à un autre ami, feu Soumaïla Cissé (paix à son âme).

Trois mois après sa prestation de serment, il m’a accordé une audience au palais de Koulouba. ATT avait ce don rare de mettre immédiatement son interlocuteur à l’aise. En sortant de cette entrevue, j’ai eu le sentiment étrange et profond que nous nous connaissions depuis longtemps, comme si cette conversation venait prolonger un dialogue commencé bien avant. J’avais la réponse à ma question sur mes amis qui le suivaient : cet homme savait valoriser les autres. À partir de ce moment, nous avons gardé le contact.

En 2005, à l’occasion de ma nomination comme Directeur général du Centre pour le Développement de l’Entreprise (CDE, ACP-UE), le Président ATT a tenu à venir à Bruxelles pour me féliciter personnellement. Ce geste, à la fois profond et chaleureux, disait beaucoup de l’homme : attentif aux trajectoires individuelles, fier de voir des Maliens porter haut le nom du pays dans les institutions internationales, toujours prompt à encourager plutôt qu’à juger.

En décembre 2006, il m’a invité au palais présidentiel pour échanger sur l’avenir du Mali. J’y séjournerai trois semaines. C’est au cours de ce séjour que nous discutons en profondeur de son programme présidentiel pour le second mandat. J’ai eu le privilège d’être l’auteur principal du PDES, le Programme de Développement Économique et Social du Mali, qu’il utilisera comme son projet de société lors de l’élection présidentielle de 2007.

Plus tard, il me fera l’honneur de me nommer Ministre des Mines, de l’Énergie et de l’Eau, puis Conseiller spécial du Président de la République, fonction que j’exercerai jusqu’au coup d’État de 2012.

Au-delà des titres et des responsabilités, je garde surtout en mémoire du président un style de travail : l’écoute, la recherche du consensus, le refus de l’humiliation, la volonté constante d’éviter les ruptures inutiles. ATT nous répétait souvent : « Il y a trois virus qui cherchent constamment à infiltrer le corps d’un dirigeant et à le détruire : son propre ego, la flatterie et la perfidie des courtisans et la cécité face au jugement de l’Histoire. »

Le bâtisseur

Il y a de cela dix-neuf ans, ATT entamait son PDES par ce paragraphe, resté figé dans la mémoire de tous ceux qui veulent sincèrement apporter leur contribution à l’édification du Mali : « Dans leur histoire (des Nations), il y a des moments où un déclic s’est produit, où le temps s’est accéléré, leur permettant d’enclencher le cercle vertueux du développement. Ces accélérations de l’histoire des nations se sont souvent produites à des moments précis : celui de leur rencontre avec un ou plusieurs de leurs fils qui leur offraient une vision claire de l’avenir et des actions à mettre en œuvre pour l’atteindre.

Le temps est venu pour notre pays de forcer son destin, d’obtenir la paix définitive afin d’entamer son décollage socio-économique. Il ne s’agit pas de formuler un vœu pieux, mais de proposer aux hommes et aux femmes qui veulent bâtir notre pays une démarche cohérente et réaliste, soutenue par des moyens clairement identifiés. »

ATT n’était pas seulement un visionnaire. C’était aussi le bâtisseur d’un pays qui se transformait sous nos yeux.

Sous sa présidence, le Mali s’est couvert de routes comme autant de veines reliant le cœur aux extrémités. Le réseau de routes bitumées s’est allongé de plus de mille cinq cents kilomètres : des rubans d’asphalte reliant villes principales et secondaires, champs et marchés, familles et espoirs. Là où la poussière et l’isolement régnaient, le bitume a apporté la circulation, le commerce, l’école moins lointaine, l’hôpital plus proche.

Il y a aussi ces ponts qui racontent mieux que les discours sur la marche du pays.

Le pont de Gao, jeté sur le Niger comme une poignée de main entre le Sud et le Nord. Le troisième pont de Bamako, l' »amitié sino-malienne » écrite dans le béton, pour désengorger la capitale et faciliter le ralliement des quartiers séparés par le Djoliba.

ATT savait qu’un pont n’est pas seulement un ouvrage d’ingénieur : c’est un symbole de confiance entre des rives qui, jusque-là, se regardaient de loin.

Les maisons, elles aussi, ont poussé. On les appelle encore « ATTbougou ». Près de dix mille logements sociaux ont été construits et attribués à des familles modestes, et plusieurs milliers étaient encore en chantier lorsque les armes ont interrompu l’histoire. Ce ne sont pas que des chiffres : ce sont des loyers qui baissent, des familles qui quittent les cours surpeuplées, des enfants qui grandissent avec une chambre à eux, une porte à fermer le soir, un toit à ne plus craindre durant l’hivernage.

Pour aider les paysans à traverser les saisons difficiles, des centaines de banques de céréales ont été créées ou reconstituées à travers le pays. Dans beaucoup de communes rurales, un grenier s’est dressé comme un rempart silencieux contre la soudure des saisons. Là encore, il ne s’agissait pas de charité mais de dignité : donner aux producteurs une marge de manœuvre, éviter qu’ils bradent leur récolte au plus bas prix, protéger les familles contre la faim lorsque les pluies se font avares.

Dans les villages, des forages et des systèmes d’hydraulique villageoise ont rapproché l’eau potable des femmes, des troupeaux et des jardins. Des aires de regroupement ont été aménagées sur les chemins de transhumance pour éviter les conflits entre éleveurs et agriculteurs.

Dans les villes, des écoles, des lycées, des universités nouvelles ont élargi l’horizon de milliers de jeunes. À Bamako et en régions, des hôpitaux modernes, dont l’Hôpital du Mali, ont ouvert leurs portes, pour que le mot « urgence » ne rime plus systématiquement avec « évacuation ».

Et l’électricité ? Elle est au développement ce que le sang est à l’organisme. À l’époque, dans la décennie 2000-2010, le solaire n’était pas bon marché. Nos désavantages géoclimatiques ne permettaient pas non plus d’utiliser à suffisance les sources hydroélectriques. Alors nous sommes allés chercher l’électricité chez nos voisins. C’est le sens des réseaux interconnectés. Le commerce ne gifle pas la souveraineté, sauf pour les esprits primaires. Toutes les régions africaines ont ou envisagent d’avoir des réseaux interconnectés (WAPP, SAPP, EAPP et CAPP). Malgré la guerre en Ukraine, EDF et ORANO (France) ont importé 65 tonnes d’uranium enrichi de ROSATOM (Russie) entre avril 2024 et mars 2025. Autre exemple, en 2024, les États-Unis ont importé de l’ordre de 33 TWh du Canada.

L’important est de trouver du courant vital pour les entreprises et les populations. Dans cette logique, pour ATT, les délestages cumulés dans l’année ne devraient pas dépasser au total plus de dix jours. Il tenait beaucoup à cette directive, qui a été très souvent respectée.

Rien n’est parfait. Beaucoup restait à faire et à parfaire. Mais lorsqu’on regarde honnêtement cette décennie ATT, on voit des routes, des ponts, des écoles, des hôpitaux, des logements, des banques de céréales, de l’eau potable qui progresse, lentement mais sûrement. On voit un pays qui, malgré les contraintes, essayait de se tenir debout, jetant les bases concrètes d’une réelle souveraineté.

L’infatigable homme du dialogue et le soldat de la paix

ATT, c’était aussi une certaine idée de la paix. Dieu seul sait combien de centaines d’échanges le président a eus avec les principaux chefs des groupes rebelles. À commencer par Iyad Ag Ghali, qu’il avait convaincu et envoyé comme « conseiller consulaire » à l’Ambassade du Mali en Arabie saoudite, de 2007 à 2010. N’eût été la demande des autorités saoudiennes de le faire quitter leur pays, à cause de ses activités religieuses jugées « suspectes », peut-être que l’histoire du Mali aurait pris un autre cheminement. Et puis, il y a eu l’irresponsabilité incommensurable, le crime de Nicolas Sarkozy, appuyé par certains dirigeants occidentaux, arabes et turcs, contre le fédérateur des tribus libyennes, le créateur de la Libye moderne, le stabilisateur de la région sahélienne : Mouammar Kadhafi. Celui-là même qui avait abandonné la révolution mondiale, banni les attentats, renoncé à l’arme nucléaire pour se faire une place dans le concert des Nations. Il y a eu dans la vie de Kadhafi deux moments, deux personnages : et c’est celui qui « voulait rentrer dans les rangs », le « bon », qu’ils ont assassiné en novembre 2011. La Libye brisée en plusieurs morceaux et le Sahel déstabilisé en paient encore les conséquences.

Après l’explosion de la barrière libyenne, lorsque, début 2012, des hommes surentraînés et suréquipés, anciens membres de la garde nationale du « guide » Kadhafi, se sont dirigés vers le Mali, ATT a envoyé des émissaires pour connaître leurs intentions et explorer les solutions possibles pour leur accueil. Il a vite compris que la guerre était inévitable avec certains d’entre eux. ATT disait que « la meilleure façon de gagner une guerre était de l’éviter ». Mais il faut être deux pour faire la paix. Lorsque les belligérants ne laissent d’autre choix que les armes, alors il faut y aller pour de bon. Toutes nos grandes villes (Gao, Tombouctou, Kidal) ont fait face aux hordes bellicistes sans se plier, du temps d’ATT président.

Pourtant, au moment de l’explosion des hostilités de 2012, le président ne disposait que de huit cents (800) commandos parachutistes pour notamment assurer sa sécurité. Il a choisi d’en envoyer sept cent vingt (720) sur les théâtres d’opérations, estimant que les hommes de son corps d’origine devaient donner l’exemple.

Le jour du coup d’État, ce 21 mars 2012, ce jour fatidique de basculement du Mali vers les profondeurs de l’abîme, jusqu’à présent sans toucher le fond, il n’y avait que quatre-vingts (80) « bérets rouges » à Bamako pour la protection présidentielle.

Bien qu’informé des agitations au camp Soundiata Keïta de Kati, ATT n’avait pas voulu rappeler ses hommes pour se retrancher derrière eux, ni faire intervenir la Gendarmerie ou la Garde nationale. Pour lui, il n’était pas question que des militaires maliens tirent sur d’autres militaires maliens pour prolonger, de quelques semaines, un pouvoir personnel qui touchait de toute façon à sa fin constitutionnelle.

 

 

« Servir le Mali » n’était pas pour lui une formule creuse : ce fut, jusqu’au bout, une ligne de conduite.

Pour ma part, j’ai continué à le voir durant son exil à Dakar, puis à son retour à Bamako. Loin du pouvoir, Amadou Toumani Touré est resté fidèle à lui-même : simple, affable, attentif aux autres, peu enclin aux ressentiments publics, toujours soucieux de l’avenir du Mali plus que de son propre sort. Il a toujours su mettre l’intérêt du Mali au-dessus du sien.

Pour aujourd’hui et pour demain

Aujourd’hui, alors que notre pays traverse l’une des périodes les plus incertaines de son histoire, la figure d’Amadou Toumani Touré ne doit pas seulement nourrir notre mémoire : elle doit éclairer notre horizon. Rendre hommage à ATT, ce n’est pas idéaliser le passé ni nier les erreurs ; c’est reconnaître qu’il est possible de concilier autorité et humilité, courage et retenue, puissance de l’État et respect des citoyens.

C’est désormais à nous, collectivement, d’assumer cet héritage :

– en refusant la haine comme mode de gouvernement ;

– en plaçant l’intérêt général au-dessus des rancœurs personnelles ;

– en faisant de la paix non pas un slogan, mais une stratégie, un travail quotidien, parfois ingrat, souvent silencieux.

Le Mali a besoin de se souvenir d’ATT, non pas seulement comme d’une page tournée, mais comme d’un repère. Il n’a jamais prétendu être un homme parfait; il a cherché à être un homme utile.

À l’heure où nous cherchons à éviter l’effondrement, à réinventer notre vivre-ensemble, son exemple nous rappelle que la grandeur d’un dirigeant se mesure à ce qu’il laisse à son peuple, et non à ce qu’il emporte avec lui.

Puisse le Bon Dieu faire que cet appel soit entendu.

Puisse l’œuvre d’ATT continuer d’inspirer les générations présentes et futures du Mali.

Que Dieu l’accueille en Sa miséricorde et apaise le cœur de sa famille et de tous ceux qui l’ont aimé. Amine

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