EGALITÉ DES GENRES : La femme est le pantalon de l’homme
Pr Mme Adame Ba Konaré est une brillante historienne de renommée internationale. Ancienne première Dame du Mali, Adame Ba Konaré est aussi un farouche combattant pour les droits de la femme. Ce texte en dit davantage.
Le rôle de la mère est fascinant et quasi mystique, d’autant plus qu’il repose sur un aspect charnel encore mystérieux en dépit des avancées de la science.
C’est la femme qui, proclame-t-on au Mali dans une formule apparente de lapalissade, engendre les rois, les ministres, les hommes richissimes. La procréation est son apanage exclusif. L’homme n’y accédera jamais !
La mère est l’icône de la maison. Son premier rôle demeure l’éducation des enfants mais en réalité, elle régente la vie de l’ensemble de la communauté familiale, allant jusqu’à s’immiscer dans les relations de couple de ses fils. C’est que dans le mental collectif, la réussite d’un homme dépend de sa mère : le nom, c’est le père, mais la force, la baraka, c’est la mère, assène le dicton populaire.
Cette réussite, croit-on, découle surtout de sa souffrance. La souffrance devient ainsi une valeur positive, mieux, une valeur à sublimer puisque sa puissance est symétrique à celle de l’enfant. Plus elle est immense, plus la réussite de l’enfant est éclatante. Ainsi, tous les héros bâtisseurs d’empires sont salués à travers les noms et le martyre de leurs mères.
Même si la mère d’un grand homme n’a pas souffert dans sa vie de couple, il faut la faire souffrir pour qu’elle cadre bien avec l’archétype de la mère d’un fils exceptionnel. Le père est gommé, il n’est que le géniteur.
Généralement, la souffrance, voire la disparition physique, préfigure la grandeur du fils. L’histoire de notre pays nous en offre des exemples édifiants.
Prenons le geste de Sunjata, le plus populaire. Le jour où le héros quitte le Méma pour voler au secours de son pays – nous sommes en 1235 – la conversation qu’il a avec sa mère, leurs adieux, résument la situation : « Djata, cours, pars vers le Manden, lui dit Sogolon, sa mère, un grand destin t’y attend. J’ai souffert, toute ma vie durant, dans ma chair de femme, méprisée, bafouée, humiliée, mais aujourd’hui je suis apaisée. Je suis venue sur cette terre, Djata, avec seule mission de te mettre au monde, toi le prédestiné, le Nankama. Toutefois, pour que ton destin s’accomplisse, il a été aussi tracé que je dois disparaître de ce monde. A l’aube, je ne serais plus en vie, je rendrai l’âme mais mon esprit continuera à te protéger. »
Une mère pour de vrai augmentera son pouvoir et son ascendant sur son fils et son entourage en cherchant à renforcer sa puissance protectrice. Elle recourt à des pratiques magiques, fréquente marabouts et devins, qui lui lisent l’avenir, la prévient des menaces qui planent sur elle et les siens, l’aident à conjurer le sort, à attirer la chance etc. Sur sa lancée, elle apprend elle-même versets, incantations, formules et potions magiques pour accroître ses dons, au point de devenir à son tour femme de savoir, qui n’est jamais prise de court par un mauvais évènement et qui, progressivement, se trouve dotée par la société d’une aura singulière. Canonisée de son vivant, élevée sur un piédestal, elle inspire crainte et respect.
La mère est nourricière, saluée à ce titre. Elle est comparée à la vache aux pis intarissables, quand elle met cette qualité au service d’autres enfants. Une mère nourricière accomplie reçoit une autre épithète : la bonne mère, fleuve nourricier. Ainsi, la nature dote la femme/mère d’un apanage, assorti de valeurs pendantes : le don de soi, la générosité et la bonté.
L’image de la sœur et de la femme-épouse complète celle de la femme-mère. Appesantissons-nous sur la femme-épouse.
La femme-épouse
L’idéal féminin de la femmeépouse fait d’elle un être fort psychologiquement, nantie, à cause de cet état de fait, d’une capacité de protection de son époux, l’homme, fort dans le corps, mais faible dans la tête. Un proverbe tamasheq enseigne par exemple que « la femme est le pantalon de l’homme » c’est à dire qu’elle le protège et cache ses forces et ses faiblesses. Les Bamanans disent : ka soutra. Soutoura, voilà une autre valeur cardinale !
Partout, la socialisation de son époux lui est dévolue. Elle gère ses relations sociales, est sensée faire son bonheur et sa réussite, rien que par son intelligence, sa conduite et son savoir-faire, au point que l’adage populaire considère que lorsqu’un homme a la chance d’avoir une épouse cadrant avec les normes mentionnées, il surpassera en grandeur ses frères rivaux et tous ses semblables hommes. Cette responsabilité super protectrice est telle, qu’on va jusqu’à imputer à la femme les déviances de son mari, y compris les déviances extra conjugales. Si un homme, en effet, en arrive à tromper sa femme, croit-on, c’est parce qu’elle ne sait pas user de savoir-faire ou d’artifices pour le retenir à la maison. Allez savoir !
Sur l’échiquier du pouvoir, l’image de la femme-épouse, reflétée à travers les Premières dames, a recouvert celle de la reine-mère.
La soumission comme arme de défense
Nonobstant ce rôle essentiel, primordial, ce rôle de la vie, la femme s’est laissée doublée sur sa gauche par l’homme qui l’a assujettie grâce à sa force brutale. Dans ce contexte de domination des hommes et de partage des responsabilités, la femme, pour se défendre, a imaginé des scénarios de résistance pacifique, d’auto-protection, pour plaire non seulement à son époux, mais également à ses parents et amis. Cette tactique, globalement, est taxée de soumission. La femme africaine a vite été qualifiée de femme soumise, surtout par la littérature occidentale, qui n’a retenu que la façade, l’aspect qui saute à l’œil. Le fait de soumission est devenu un acte répréhensible, la femme sujet de compassion.
En passant au peigne fin cette « soumission », on se rend compte qu’elle est une posture d’humilité, majigin ; elle est aussi une « ruse de guerre » et au bout du compte, elle tend à consolider la réputation et la position centrale de la femme. La femme dite soumise devient la personne incontournable auprès de laquelle il faut se référer pour avoir à manger, être blanchi. D’une disponibilité à toute épreuve, aucun étranger ni aucun parent venu du village ou d’ailleurs, ne peuvent se passer de ses services.
Quant à sa relation avec son propre mari, elle est faite de soumission apparente.
Dans ce registre, elle aiguise sa féminité pour lui plaire : petits plats, artifices de beauté, techniques de séduction, attentions particulières etc. Elle affine cette arme au point de la transformer en comédie : la comédie de l’effacement.
L’effacement de la femme africaine, en voilà une autre image d’Epinal ! En réalité, il participe, le plus souvent du même jeu de recherche de l’équilibre dans le foyer. Je ne puis m’empêcher d’évoquer ce proverbe sud africain, qu’il me plaît de citer chaque fois que j’en ai l’occasion. Ecoutez-le bien, parce que l’image est forte et suffisamment symbolique : « la poule sait que le jour s’est levé, mais elle laisse le coq chanter. »
N’est ce pas qu’elle fait pâlir cette expression, désormais usée, qui dit que derrière tout grand homme se cache une grande dame ?
Mais revenons à la souffrance dans le silence.
La souffrance dans le silence
L’autre valeur référencée par le code de bravoure de la femme est la souffrance dans le silence, l’ai-je déjà dit, la capacité de subir, de se résigner, d’accepter. Souffrir dans le silence, sans se plaindre ni surtout colporter ses malheurs, est une vertu dont la femme doit se parer dans la culture malienne; c’est sa marque de fabrique. Dans ce domaine comme ailleurs, la femme s’est abritée derrière cette recommandation au point d’en faire une arme d’auto-protection, dans la mesure où ceux qui prêtent une oreille attentive aux récits de ses malheurs, ne sont pas forcément des amis, ni a fortiori, des protecteurs ; mais surtout, cette sublimation de la souffrance et son acceptation par la femme, lui permettent de contourner un rapport de force inégalitaire.
L’abnégation, élevée au stade de dispositif transcendantal, de foi, parachève le code chevaleresque de la femme au point qu’une fille répudiée en pleine nuit par son mari est immédiatement chassée par sa famille qui refuse de lui ouvrir les portes de la maison et lui intime l’ordre de retourner dans son foyer, même si son mari doit la tuer. La patience, la douceur, l’endurance, la tolérance et l’abnégation, sont supposées venir à bout de la méchanceté, de l’injustice, de l’épreuve de force. Ainsi, nous sommes dans une régulation sociale opposant la vertu au vice et à la force brutale, dont la femme reste la victime expiatoire et le porte-étendard.
De tout cela il résulte que la femme, arrivée à ce stade de perfection, devient la gardienne et la personnification vivante de toutes les valeurs décrites. Mieux, elle se transforme en monument de vertus, forgé à la suite d’une longue épreuve dans laquelle elle s’est trouvée dans l’obligation de renégocier « son moi ».
Ce qui est sûr, c’est que la société joue un rôle majeur dans la marche de la femme vers les vertus. Elle est confortée par le savoir-faire, le poids des mots, véhiculés par ces orfèvres du verbe que sont les griots, à la fois régulateurs et catalyseurs sociaux.
Ce code d’honneur a subi des influences, nous l’avons déjà annoncé. Dirons-nous tans pis ou parlerons-nous de menaces ? Peut-être les deux à la fois.
Pr Mme Adame Ba Konaré
Historienne,
Ancienne Première Dame
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