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IN MEMORIAM : Abderhamane Baba Touré

 

Le 14 février dernier marquait le 22e anniversaire de la disparition du Professeur Abderhamane Baba Touré. Il a été une des figures majeures de l’histoire contemporaine du Mali. Dans l’ombre comme au grand jour,  il fut un intrépide dirigeant du mouvement révolutionnaire qui a renversé l’autocratie et instauré le pluralisme démocratique au Mali.

Cadre du Parti africain de l’indépendance (PAI) créé, entre autres, par Majemout Diop, du PAI-Soudan sous l’égide de Lassana Doumbia, du Docteur Sané Moussa Diallo et d’ Amadou Djikoronin Traoré, membre du Parti malien ouvrier et paysan (PMOP) fondé et dirigé par Yolo Tolo Walbanou, il a pris la tête du Parti malien du travail (PMT) à son retour au Mali en 1967.

Né en 1928 dans le village de Doukouré, commune de Saréyamou, dans le Gourma de Diré, il est allé à l’école primaire, dans ce gros bourg sur les rives d’Issaber, puis à Goundam où il a été hébergé par Alassane Sababa Touré, père de son camarade de classe Tiémoko Almadi.

À Bamako, il fréquenta l’École primaire supérieure Terrasson de Fougères entre 1943 et 1946.

Après l’École Technique Supérieure où il obtient la première partie du baccalauréat, il intègre  l’École normale William-Ponty (Sénégal), il décroche la seconde partie du baccalauréat.

Il poursuit ses  études supérieures en France à Montpellier . Dans cette ville du sud de la France, il milite au sein de plusieurs organisations dont l’Association étudiante internationale  (AEI).

 

Titulaire d’une licence en Sciences Physiques, il réussit au CAPES et est nommé professeur certifié en 1956.

Revenu au pays, il enseigne la physique et la chimie au lycée Terrasson de Fougères (actuel lycée Askia Mohamed de Bamako).

Après le « NON » historique de la Guinée au référendum gaulliste de septembre 1958, Abderhamane, comme plusieurs jeunes cadres africains de cette époque, va enseigner en Guinée en signe de solidarité avec le peuple de ce pays qui a « préféré la pauvreté dans la dignité à l’opulence dans l’esclavage ».

Rentré de Guinée en 1960, il est professeur de sciences physiques dans les lycées. Il obtient une bourse d´études de 3ème cycle et repart pour la France.

C’est dans sa résidence, 102, rue du Général Leclerc, à Saint-Leu-la Forêt dans la vallée de Montmorency ( 20 kms de Paris) que s’est tenue, un jour de mai 1965, une des réunions fondatrices du Parti malien du travail ( PMT). Plusieurs militants et leurs épouses ont partagé un repas mémorable offert par Madame Touré Marie-Therèse Vallogne (surnommée Mimi). Parmi les convives: Marie-Bernard Sissoko-Mamoudou, Ali Nouhoun Diallo, Bah Boubacar Bill….

Une autre réunion fondatrice eut lieu en 1965 à Nyomirambougou, Bamako au domicile de Moriké Konaré.

Ont participé à cette rencontre :

le cheminot Yolo Tolo, l’ancien combattant Hamadiar Traoré, Soumana Maïga, Kadari Bamba, Sadou Oumar Yattara.

La principale conclusion de cette réunion a été le changement de nom, du  » Parti malien ouvrier et paysan » (PMOP) en « Parti malien du travail » (PMT).

Rentré définitivement au Mali en 1967, Abderhamane Baba Touré est nommé Directeur général de l’École Normale Supérieure.

Abderhamane Baba Touré fut après Soumana Maïga, le dirigeant incontesté du Parti malien du travail (PMT).

En novembre 1968, un putsch militaire renverse le Président Modibo Keïta et son gouvernement.

Dès le lendemain, 20 novembre, le PMT publie un tract ambigu qui donne  l’impression de soutenir ou de comprendre l’action des militaires putschistes.

Quelques mois plus tard, en avril 1969, plusieurs membres  et sympathisants du PMT sont arrêtés: Abderhamane Baba Touré, Kadari Bamba, Marie-Bernard Sissoko, Monobem Ogoniangaly, Sadou Oumar Yattara, Mamadou Doucouré Vézéro et Santigui Mangara.

Interpellé et détenu pendant 45 jours, le leader étudiant, Oumar Konaré, a été élargi au bénéfice du doute, faute de preuves de son appartenance au PMT.

Les autres membres du PMT ont été jugés et condamnés à 18 mois d’emprisonnement.

Abderhamane Baba Touré a été envoyé à Yélimané à l’extrême Ouest où il purgea sa peine.

À sa sortie de prison en 1971, il a continué à militer pour la démocratie et la justice sociale au Mali.

Vingt ans après, le Mali connaîtra une insurrection populaire victorieuse dans laquelle, le PMT et ses rameaux (notamment l’Union TiémokoGaran) ont joué un rôle déterminant.

Les luttes estudiantines des années 1978-1980 ont donné une nouvelle impulsion au combat du peuple pour la liberté.

Dès 1982 le Front démocratique du peuple malien (FDPM) est créé par Moussa Tati Keïta et ses camarades.

En décembre 1986 le PMT, le FDPM, l’US-RDA et le PMRD créèrent à Dakar le  Front national démocratique et populaire (FNDP) avec le soutien de Amath Dansokho et de Abdoulaye Bathily, deux dirigeants de la gauche sénégalaise dont les partis sont issus du PAI originel.

Après le Club Nelson Mandela et l’Association des diplômés sans emploi ( ADIDE), l’Union TiémokoGaran crée en octobre 1990 le Comité national d’ initiative démocratique (CNID), puis l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) sous la houlette de Oumar Mariko.

Les organisations membres du FNDP et d’autres patriotes mirent sur les fonts baptismaux, ce même mois d’ octobre 1990, l’ADEMA-Association dont le premier président fut Abdramane Baba Touré.

L’association des jeunes pour la démocratie et le progrès (AJDP) et la Jeunesse libre et démocratique (JLD) ont été créées par de jeunes patriotes qui n’avaient peur de rien.

Le CNID organise le 10 décembre 1990 une grande manifestation conduite par  Me Mountaga Tall, Me Demba Diallo, Cheikh Oumar Sissoko et Amidou Diabaté.

Le  31 décembre, le CNID et l’ADEMA manifestent ensemble.

« Demokarasi, I sanbè, sanbè!  était le slogan clamé par les porte-parole de cette marche unitaire, Kadiatou Sow Salaama et Drissa Diakité, repris par des  dizaines de milliers de Bamakois.

En janvier 1991, les professionnels de la justice sous l’égide de leur section syndicale déclenchent une grève générale illimitée et prennent la rue pour le respect de l’État de droit.

Ils reçoivent le soutien du Syndicat national de l’administration d’État (SYNTADE), importante composante de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM).

Le 17 mars1991, l’AEEM commémore par une marche la mort sous la torture, au camp des parachutistes de Djikoronin en mars 1980, de Abdoul Karim Camara, secrétaire général de l’UNEEM.

Le 22 mars, une manifestation « avec barricades  » organisée par l’AEEM est sauvagement réprimée.

Le sang coule…. Des morts…., des blessés…C’était « le vendredi noir ».

Combinant le sentiment démocratique et le serment d’Hippocrate, Bocar Sall, Ali Nouhoun Diallo, Chérif Cissé et d’autres professionnels de la santé se démultiplient à l’hôpital Gabriel Touré pour assister les blessés par balles au milieu des cadavres.

Les images prises par Cheikh Oumar Sissoko et  Racine Keïta témoignent de la barbarie et de l’horreur de la répression.  Elles émeuvent l’opinion internationale.

Me Bintou Maïga,  Abderhamane Baba Touré et Kadari Bamba, entre autres, se rendent au siège de l’UNTM et confèrent avec les dirigeants syndicaux.

Après une visite à Gabriel Touré, où ils ont pu constater la boucherie, Bakari Karambé, Boïssé Traoré et leurs camarades décrètent une grève générale illimitée jusqu’à la démission du général Moussa Traoré.

Après concertation avec l’UNTM, l’ADEMA, le CNID, l’AEEM le Barreau, l’AMDH et les autres associations, une coordination des organisations démocratiques est mise en place, le 23 mars sous la direction de l’UNTM.

Abderhamane Baba Touré est élu premier vice-président. Amidou Diabaté du CNID est 2ème vice-président. Oumar Mariko de l’AEEM est 3è vice-président. Maître Demba Diallo de l’Association des droits de l’homme en est le porte-parole.

Boïssé Traoré, Me Drissa Traoré, Soumeylou Boubèye Maïga et  Cheikh Abdoulaye Cissé sont parmi les membres actifs.

Un  « Appel au peuple malien  » est rédigé et diffusé. Il soutient la grève générale de l’UNTM et exige la démission du général Moussa Traoré et de son gouvernement ainsi que la dissolution de l’Assemblée Nationale.

Il  appelle également les forces démocratiques à constituer un Comité de salut du peuple (CSP) chargé de gérer la transition démocratique.

Dès le 24 mars, le président Moussa Traoré demande à rencontrer la coordination démocratique.  Une délégation  se rend à Koulouba : Bakari Karambé, Abderhamane Baba Touré, Amidou Diabaté, Me Drissa Traoré, Me Demba Diallo, Hamadoun Bâ, représentant de l’AEEM.

La rencontre tourne court: courageusement les  délégués insistent sur la démission du Président et sur la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée Nationale.

Le lendemain, 25 mars, une délégation conjointe du parti unique (UDPM) et du Gouvernement se rend à la Bourse du travail: le général Filifing Sissoko, Drissa Traoré BEC-UDPM), Sambou Soumaré ( ministre de la Justice), Zeïni Moulaye (ministre du Tourisme), Anatole Sangaré, Directeur des services de renseignements.

En face, Abderahmane Baba Touré, Amidou Diabaté, Moussa Balla Diakité et Hamadoun Bah de l’AEEM, Sidi Camara et Dioncounda Niakaté de l’ADIDE rejetèrent l’offre de négociations et exigèrent la démission pure et simple du Général Moussa Traoré.

Dans  la nuit du 25 au 26 mars 1991, la  révolution triompha: après concertation avec  l’Aide de Camp du Président ( le Colonel Oumar Diallo) et le Directeur Général de la Sécurité d’État (le Contrôleur Général de police Anatole Sangaré), le commandant de la Garde Présidentielle, le Lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, à la tête d’ un détachement du bataillon parachutiste pénètre dans le bureau présidentiel et arrête le Chef de l’État, les membres de la direction du parti unique et les ministres réunis pour examiner la situation.

Dès le lendemain, 26 mars, les nouveaux chefs militaires se rendent à la Bourse du travail à la rencontre de la Coordination démocratique.

Les dirigeants civils de l’insurrection et les officiers conviennent de la mise enplace d’un  » Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP), organe dirigeant de la période intérimaire qui durera 14 mois.

Le Professeur  Abderhamane Baba Touré  en est élu 2èmeVice-Président.

Après les premières élections pluralistes, il est nommé membre  de la Cour Constitutionnelle. Les membres de cette institution l’ont élu président à partir de 1999.

Pendant plusieurs décennies, le fils de Houneyezatou et de Baba Touré (deux paysans du Gourma malien) s’est engagé dans l’action politique pour débarrasser la patrie de la dictature et poser les jalons de la démocratie.

Avec le vétéran Kadari Bamba, il a publié aux éditions Jamana, en 2002,  une « contribution du PMT à l’avènement de la démocratie au Mali ».

Il s’est éteint le 14 février 2003 à Paris. Il fut inhumé à Bamako.

L’École nationale d’ingénieurs (ENI) du Mali, dont il a été le directeur général pendant des années, porte son nom.

De sa sortie de prison en 1971 à son décès, son épouse, Élizabeth Adam John,  joua auprès du vétéran un rôle déterminant dans les combats qu’il a menés pour l’avènement de la démocratie.

Dans trois ans, ce sera le centenaire de la naissance de Abderhamane Baba Touré.

Les  forces démocratiques doivent se préparer, à cette occasion, à rendre un vibrant hommage à ce grand Malien.

Sources :

  • entretiens avec des témoins, des acteurs, des veuves, enfants et proches de protagonistes disparus;
  • « Contribution du PMT à l’avènement de la démocratie au Mali », Éditions Jamana, 2002.
  •  » Les grandes dates du Mali », Cauris-Livres, 2019.
  • archives conservées par des familles d’acteurs.

Par Tiébilé Dramé

 

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