La biennale, une fausse bonne idée
Chères autorités de la Transition, la biennale est une pratique d’un autre temps, certes populaire par la nostalgie du passé, mais imaginée pour prendre en charge des enjeux qui n’existent plus. Elle n’est pas en phase avec les réalités d’aujourd’hui pour prendre en charge les enjeux de la culture et de la construction citoyenne. C’est d’ailleurs pourquoi les tentatives de reprise de l’événement ont échoué. Je ne compte pas les autosatisfecit officiels et les articles commandés dans la presse. Je fais référence à l’inexistence de vrais rapports et d’études sur l’impact de ces tentatives de reprises avec des indicateurs objectifs.
Chères autorités de la Transition, ABANDONNER la voie de la biennale artistique et culturelle pour notre secteur. C’est un choix de nostalgie. C’est un choix de politique événementielle. Elle n’est pas structurante.
Chères autorités de la Transition, l’homme est la matière première de toute société et de toute économie. Son moteur culturel détermine sa qualité de citoyen, d’inventeur, de producteur, de distributeur et de consommateur. Pour qu’une société, un espace économique, soit efficace, il faudrait que les hommes et les femmes (citoyens, inventeurs, producteurs, distributeurs et consommateurs) qui l’animent soient de qualité. Au-delà des lieux formels et informels de formation et d’éducation, ils sont exposés tous les jours aux textes, aux sons et aux images qui influencent qualitativement et quantitativement leurs choix quotidiens. Ces sons, textes et images sont émis des livres, des théâtres, des concerts, des télévisions, des radios, des réseaux sociaux, des salles de spectacles et de cinéma, des espaces publics, des espaces privés, ect… Ces sons, textes et images sont créés, produits et diffusés principalement par les artistes et les acteurs culturels : écrivains, cinéastes, musiciens, comédiens, chanteurs, danseurs, stylistes, photographes, directeurs photo, ingénieurs son, éclairagistes, graphistes, designers, intellectuels, architectes, etc….`Pour que ces artistes et acteurs culturels soient un facteur de transformation et de cohésion sociale, il faudrait qu’ils soient dans une certaine pérennité d’actions, avec une durabilité de leur économie. Pour cela, l’existence d’un marché est indispensable, c’est-à-dire des lieux de diffusion capables d’acheter et de programmer régulièrement du cinéma, du théâtre, de la danse, des conférences-débats, des expositions, et d’être des lieux de médiation et de diffusion des valeurs de la démocratie, de la tolérance et de la modernité.
Chères autorités de la transition, nous avions eu le plaisir d’apprendre que 4,140 milliards sous l’intitulé « -2.050 Promotion de la Création artistique et littéraire » ont été ajoutés à ce qui était généralement présenté comme le budget de la culture au Mali, c’est-à-dire le budget du fonctionnement de l’administration publique de la culture. Nous avions cru un court moment que notre plaidoyer a été enfin entendu. Mais nous avons déchanté très rapidement. Nous avons compris que ces 4,140 milliards vont être essentiellement utilisés pour organiser un événement socio-culturel sans impact structurant.
Chères autorités de la transition, entre la pandémie du Covid 19, les crises politiques et vos choix actuels de diplomatie, le secteur culturel est au bord de l’implosion. Nous avons perdu la très grande majorité de nos financements et devenons de moins en moins crédibles face aux banques et aux sponsors. Face à cette situation, de plus en plus d’artistes et d’acteurs culturels les plus compétents du pays expatrient leurs activités.
Chères autorités de la Transition, la culture n’est pas seulement une question de folklore, c’est surtout une question d’expertise et d’ingénierie. Aussi, à la place d’un événement socioculturel il est souhaitable que vous investissez plutôt dans le développement d’un programme structurant, comme par exemple la création d’un réseau de diffusion sur l’ensemble du territoire. Ça pourrait être un réseau de 70 équipements culturels avec des espaces de 200 places en moyenne, capables de diffuser du théâtre, de la musique, de la danse, du cinéma, des expositions , des conférences-débats et d’accueillir des manifestations populaires. Ce qui ferait un potentiel de plus de 2 millions de spectateurs et de 10 080 dates par an pour les artistes et les acteurs culturels maliens.
Ce marché intérieur de la culture pourrait être accompagné par un programme interministériel autour de 2 urgences culturelles nationales : la lecture et Internet.
Le Mali ne lit pas. Un pays qui ne lit pas ne saurait véritablement prétendre au développement. Une « Urgence culturelle nationale » pourrait être imaginée en faveur de la lecture sur une base interministérielle : Éducation nationale, Culture, industrie, communication, commerce, affaires étrangères et coopération… Tout le poids de l’État, au plus haut niveau, y serait mis pour légitimer la pratique de la lecture et créer les conditions de son exercice : librairies, édition, bibliothèques publiques, etc… ; associée à une « Urgence culturelle nationale » pour faire du Mali une source de production numérique positive. Même si pour le moment les dérapages sont hyper dominants, les réseaux sociaux sont un des domaines où la créativité de la société malienne apparaît le mieux et de la façon la plus prospective. C’est également une technologie où le « retard » sur les nations les plus développées est faible et rattrapable. Formation aux métiers de créations numériques, popularisation du codage, échanges nationaux et internationaux autour de la création de contenus… sont des tâches immédiatement faisables. Cette « urgence culturelle nationale » peut être articulé au dynamisme des entreprises privées dans le domaine numérique et à l’inventivité des dizaines de milliers de jeunes internautes déjà actifs.
La mise en œuvre de ce dispositif pourrait être accompagnée par un ambitieux programme de construction citoyenne qui réinventerait notre récit national, populariserait les bonnes perspectives de la nouvelle dynamique du Mali post-crise et articulerait les actions de la communauté de la culture, les collectivités territoriales concernées, les entreprises, les PTF et l’État.
Chères autorités de la Transition, ABANDONNER la voie de la biennale ! C’est de la nostalgie ! Elle n’est pas structurante.
Alioune Ifra NDiaye