La Charte pour la paix et la réconciliation nationale pourra-t -elle amener la paix au Mali ?
Après quelques mois de travail, la commission en charge de proposer aux autorités un projet de charte pour la paix et la réconciliation nationale a produit un document de base. L’examen de celui-ci fait ressortir de nombreuses insuffisances qui risquent de limiter sa portée et, surtout, de restreindre les chances qu’il contribue réellement à la paix et à la réconciliation dans notre pays.
Quelques observations de fond méritent d’être mises en avant et complétées par celles qui relèvent des insuffisances de forme.
La critique majeure à porter au projet de charte en cours de préparation est relative au processus qui a présidé à son élaboration. Un document, à lui seul, n’a jamais instauré la paix nulle part. C’est surtout le processus menant à l’élaboration du document qui est important. Or celui qui aboutit à la production de ce document n’a pas été inclusif. Les groupes combattants l’Etat n’ont pas été associés. Si l’on ne fait la paix qu’avec ceux qui nous combattent, comment donc obtenir la paix et à fortiori la réconciliation, quand ceux qui se battent n’ont pas été associés au processus ?
Dans les éléments de justification, il est indiqué au paragraphe 2 du document que le dialogue engagé en 2024 a été fondé sur le souci d’impliquer l’ensemble des maliens dans la recherche d’une paix durable. Si tel était le cas, pourquoi exclure de ce dialogue les groupes armés constitués en grande partie de maliens ?
Les titres 1 (dispositions générales) et 2 (Nation, Etat, Etat-nation, valeurs partagées)
contiennent beaucoup de rappels de généralités, quelques fois académiques voire livresques, avec de nombreuses notions qui sont questionnables et discutables. On n’y parle jamais de diversité alors que les réalités maliennes se caractérisent d’abord par la diversité des communautés qui composent le peuple. Les valeurs considérées comme partagées au Mali (humanité, autorité parentale, honneur, dialogue, patriotisme, solidarité, travail, redevabilité…) sont portées de manière différente par les communautés ethniques. Il faut avoir le courage de reconnaitre que le Mali est très
divers et que cette diversité est à prendre en compte pour bâtir les fondements d’une
nation harmonieuse.
Au niveau du titre 3, chapitre 4, article 19, il est question de guerre informationnelle et de la nécessité de mobilisation de la presse et des populations pour y faire face ainsi qu’à s’engager à soutenir le rayonnement du pays sur la scène internationale. Cela semble éloigné de la paix et de la réconciliation nationale.
Le titre 5 aborde la question de l’éducation, de l’éducation à la culture de la paix et de l’éducation à la culture de la santé. Comme dans les autres titres, les questions y sont abordées de manière littérale sans qu’on balise de manière précise comment mettre en œuvre concrètement des actions destinées à produire les résultats souhaités. Par
exemple, au niveau de l’éducation civique et morale (chapitre 3) on aurait pu proposer que cette discipline soit réinstaurée dans tous les ordres d’enseignement et avec un statut de matière principale et cela dans un délai de 10 ans. Ce qui serait engageant, vérifiable et pourrait accélérer le renforcement citoyen des jeunes maliens.
Le chômage (chapitre 6) ne devrait pas être abordé dans le titre 5 (éducation) mais faire l’objet d’un titre distinct. Ensuite, au lieu de simplement le définir, indiquer en deux lignes ses conséquences et présenter les moyens d’insertion des jeunes, on
devrait plutôt détailler en quoi le chômage est un facteur de violence et contraire à la paix et à la réconciliation et enfin présenter de manière détaillée les mesures pour soutenir l’emploi des jeunes.
Le titre VI aborde les responsabilités des départements en charge de la justice, de la
sécurité et de la défense mais comporte également des insuffisances qui mettent en cause la portée du document. On ne voit pas dans le chapitre 1, d’indications permettant d’identifier une quelconque responsabilité du ministère de la justice et donc permettant d’évaluer la mise en œuvre ni en termes d’accès à la justice, ni de renforcement de la justice ou encore en matière de justice transitionnelle. En outre d’autres actions fortes en matière de justice (transparence, lutte contre les abus, corruption, simplification, accélération des procédures…) ne figurent pas dans ce chapitre.
Le chapitre 2 aborde les différentes formes de sécurité, certaines (sécurité sociale, sécurité sanitaire, sécurité énergétique…) n’ayant pas de rapport avec les départements de la défense et de la sécurité qui sont ceux visés par le chapitre. Dans
ces conditions il sera difficile de les évaluer en la matière.
Le titre VII précise les responsabilités des Ministères en charge de l’administration du
territoire et de la réconciliation. Bien que d’autres Ministères aient un rôle important en rapport avec quelques questions spécifiques majeures, on ne les évoque pas dans le texte, il est mis l’accent uniquement sur 4 ministères.
La charte ne précise pas le rôle des partis politiques et des organisations de la société
civile, se limitant à mentionner les citoyens en tant qu’individus.
De même, elle ne fait aucune référence aux autorités traditionnelles ou religieuses, pourtant centrales dans la société malienne.
En ce qui concerne les insuffisances de forme, elles sont de plusieurs natures.
La charte est conçue comme un guide (cf. paragraphe 1 de la note introductive) pour
le renforcement de la paix, de la sécurité de la cohésion sociale, du vivre ensemble et de l’unité nationale. Elle n’est pas engageante, ce qui risque de rendre sa mise en œuvre difficilement opérationnelle. Elle définit une orientation et établit des idées et des principes, mais sans fixer d’objectifs clairs ni attribuer de responsabilités précises pour leur réalisation. Les structures mentionnées à l’article 70 ne pourront pas faire de
suivi évaluation de la mise en œuvre de ce document qui ne contient pas de tâches
spécifiques à conduire.
Le document de la charte porte sur un préambule et dix titres qui couvrent, selon ses auteurs, l’ensemble des aspects significatifs à prendre en compte pour instaurer dans notre pays la paix et réconcilier les maliens. Le problème est que chacun de ces aspects est pris en compte dans de précédents documents. Le préambule contient 11 rappels qui figurent dans la plupart des textes de base, des cadres de rappel du contexte des
politiques publiques et autres documents d’orientation stratégique du pays. Par exemple, les aspects liés à la fierté de notre histoire, d’attachement à la souveraineté ou encore de promotion des droits humains sont déjà dans le préambule de la constitution de juillet 2023.
Au niveau du titre 2 (Paix), dans le chapitre 3 sur les bonnes pratiques en matière de prévention, de gestion et de règlement des conflits, un long développement est fait sur les coopérations sous régionale et régionale. Cependant on n’y trouve pas trace ni d’orientation ni d’engagement mais simplement un rappel de faits et d’actions ne correspondant pas avec l’esprit de la charte.
Le titre 4 est très descriptif et ressemble davantage à une étude qui donne la définition littérale de la réconciliation, de la cohésion ou encore du vivre ensemble en indiquant comment établir et renforcer ces concepts. Tout cela de manière très théorique et sans une indication concrète de qui doit faire quoi, comment et avec quel dispositif de
monitoring.
Au niveau du titre 8, chapitre 1, en ce qui concerne les responsabilités des citoyens, les alinéas 5 et 6 semblent au-dessus de leurs possibilités. Il est en effet difficile de percevoir comment un citoyen peut veiller à l’accès pour tous à une éducation de
qualité ou à une santé de qualité.
Au niveau de ce même chapitre, il est étonnant de ne pas voir la création des conditions permettant de réduire le chômage des jeunes parmi les responsabilités des autorités, alors que cette question a fait l’objet d’un point spécifique dans le document (titre 5 chapitre 6).
Le chapitre 2 du titre 8 (formule d’engagement des autorités et des citoyens) semble redondant par rapport au chapitre précédent. En général, un texte n’incorpore pas en lui-même la formule d’engagement à le respecter. Il aurait été plus approprié d’inclure un acte solennel en annexe, précisant les engagements spécifiques ou supplémentaires de chaque partie (ne jamais prendre d’armes contre la République, faciliter le
dialogue…), qui pourraient être intégrés aux responsabilités de chaque catégorie d’acteurs.
Le titre 9 est vide, sans aucun contenu, ce qui semble être une erreur à corriger. Il serait donc plus cohérent d’attribuer le titre 9 à ce qui est actuellement le titre 10 dans le document.
L’article 71 de la charte réduit son application à la période de transition, alors que les enjeux de paix et de réconciliation s’inscrivent bien au-delà de cette échéance. Il aurait été plus pertinent de préciser que l’initiative de révision de la charte nationale revient au Chef de l’Etat, au Gouvernement et au Parlement, ou à l’organe qui en tient lieu.
Moussa MARA
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