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L’Accord pour la paix, selon André Bourgeot, Directeur de recherche au CNRS : «Une renégociation ? Oui, et non une relecture !»

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Spécialiste de la bande saharo-sahélienne, l’anthropologue français, André Bourgeot, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et au Laboratoire d’anthropologie sociale appelle à une renégociation de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger et non à sa relecture. Il était, le 20 juin 2022 l’invité de l’espace « Yètaw » de  la Fondation Tuwindi.

L’espace « Yètaw » est une table ronde mensuelle organisée par la Fondation Tuwindi autour de sujets d’intérêt général sur le Mali et l’Afrique. Pour le thème de ce mois de juin, le directeur exécutif de Tuwindi a choisi « l’Accord pour la paix et la réconciliation face aux défis de la Transition » avec comme invité l’anthrologue français, non moins spécialiste de la bande saharo-sahélienne, André Bourgeot. Devant l’assistance, le directeur de recherche au CNRS a focalisé son intervention sur trois points de l’Accord pour la paix et la réconciliation, à savoir les notions Région-Etat, Azawad et Cadi. 

Eviter un découpage administratif en fonction des ethnies. 

Selon lui, « la création de Région-Etat mène à une réorganisation  politique… dans le sens de la mise en place d’un système fédéral». Le Président des régions sera élu au suffrage universel direct comme le Président de la République, a-t-il fait observer. Un mode de désignation confère, selon l’anthropologue, de pouvoirs au Président de l’Assemblée régionale.  Dans le contexte actuel, il estime que le candidat à l’élection de la présidence de l’Assemblée régionale peut difficilement échapper à l’influence des groupes armés djihadistes-salafistes occupant plus de deux tiers du territoire malien. «C’est pourquoi, il faut être vigilant », a averti André Bourgeot afin d’éviter un découpage administratif en fonction des ethnies. Car, le danger serait l’institutionnalisation de l’ethnicité. 

Mûre réflexion sur les conditions de la Régionalisation 

Le spécialiste de la bande saharo-sahélienne appelle à sérieusement réfléchir sur les conditions d’application de la Régionalisation. Selon lui, « la notion Région-Etat va à l’encontre de l’organisation politique à travers l’Etat-nation ». Les Régions-Etats sont porteurs d’un système fédéral. Le fédéralisme n’est bon que dans un Etat fort ». Il plaide pour l’élection du Président de l’Assemblée régionale par les membres de cette collectivité. 

Il refuse d’utiliser le terme terrorisme. « On ne peut pas faire l’économie de l’influence du terme utilisé de bouquin à bouquin. Qui est terroriste ? Moi, je ne l’utilise pas parce que le terme est lié au pouvoir. Rappelez-vous l’histoire française. Pendant la seconde guerre mondiale, qui étaient les terroristes ? Les terroristes étaient les résistants. Ça me gène un peu qu’on utilise le même terme pour caractériser d’autres de l’autre côté. Pendant la guerre de libération de l’Algérie, les terroristes étaient des indépendantistes ». Pour lui, Il est nécessaire de réfléchir aux contenus et aux conditions d’apparition des termes. Utiliser le terme terrorisme, a-t-il souligné, est une forme de démagogie qui ne permet pas de comprendre la complexité des choses. Les choses sont complexes et on ne peut pas les simplifier à coup de caricature, a fait savoir le chercheur. L’anthropologue français préfère les «groupes armés salafistes, djihadistes». «La complexité du terme doit appeler les chercheurs et les journalistes à faire attention dans l’usage des termes pour éviter des amalgames».

Le directeur de recherche au CNRS a une grande réserve face à la reconnaissance du Cadi dans une République laïque. Il reconnaît que le Cadi n’est pas n’importe qui et a une fonction sociale importante. Il imagine difficilement la cohabitation entre deux valeurs dans la distribution de la justice. «Je considère que le Cadi représente une valeur religieuse. On peut très bien l’utiliser le bon sens du terme comme le médiateur des conflits. Quand tu as une certaine autorité, une certaine morale, un état esprit du savoir juridique musulman, en cas de conflits, il peut assurer ce rôle de médiateur», a suggéré le chercheur.  

L’Azawad… une imposture historique 

A en croire André Bourgeot, la transformation de l’azawad, un espace qui comprend les pâturages et un terrain de parcours en territoire au sens politique du terme est une imposture historique. Il a souligné que l’Azawad qui vient du tamasheq « izawa » qui désigne un récipient par extension la plaine. Certains disent que cet espace va de Tombouctou à Araouane et d’autres disent qu’il va de Niafunké à Taoudéni. «Cet espace est un terrain de parcours, ce terme est utilisé pour se démarquer de la notion de territoire. Je m’excuse de faire référence à ces concepts mais je pense que  c’est nécessaire », a-t-il expliqué. Et d’ajouter : « C’est des espaces qui sont pâturés… ». Selon l’anthropologue français, il n’y a jamais eu de chefferie, ni de royaume ni d’empire d’Azawad. En reconnaissant de facto le bien-fondé de l’Azawad, a noté André Bourgeot, l’Accord pour la paix et la réconciliation reconnait implicitement le bienfondé   de recourir aux armes pour imposer un point de vue qui est historiquement faux. À ses dires, « c’est inadmissible d’instrumentaliser l’histoire ». « On falsifie l’histoire, on fait de l’imposture. Le Chercheur que je suis ne peut pas accepter cette instrumentalisation de l’histoire à des fins politiques ». 

La proposition officielle de la Transition souhaitée 

André Bourgeot dit ignorer la position des autorités de la Transition vis-à-vis de l’Accord pour la paix. « … C’est quelque chose de très important. Parce que, l’on voit bien que l’immense majorité du peuple malien n’est pas favorable à l’application de cet accord. À un moment donné aussi, il faut que le pouvoir central, le pouvoir d’Etat à travers le pouvoir de la Transition sache comment il veut procéder à l’application de l’Accord pour la paix. La seule information que j’ai, c’est une déclaration faite par le président de la Transition à la Fondation Carter qui disait qu’il allait l’appliquer. Et en dehors de ça, je n’ai pas de proposition officielle de la transition. Ce que je sais, c’est que le Premier ministre a publié en livre très intéressant… Dans son livre, il est fermement opposé à l’application du contenu de l’accord… Quelle est sa position maintenant dans un contexte complètement différent ? Dans le contexte actuel, il faut une transparence totale…». Pour lui, il est important que le pouvoir de transition donne sa position. Il insiste que l’Accord pour la paix et la réconciliation n’a jamais été discuté à l’Assemblée nationale. «…Sur le plan juridique, quelle est sa légitimité, sa légalité », s’interroge le chercheur. 

Relecture intelligente de l’Accord…une absurdité totale 

«Je n’ai pas accès à toutes les informations, et là, je m’appuie un peu sur la rumeur qui est efficace au Mali. Ça m’intéresse aussi la rumeur…ça me permettra de vérifier et analyser les choses….La rumeur consisterait à dire qu’il y aura un double langage, je ne sais pas si c’est pertinent ou non, c’est mon point de vue. Je relate les points de vue que j’ai eus de différentes personnes ». 

Il est  en désaccord avec la relecture intelligente de l’accord. « Pour moi, c’est l’absurdité la plus totale », a-t-il lancé.  André Bourgeot opte pour une renégociation de l’Accord pour la paix et la réconciliation. « On peut le renégocier ». 

Chiaka Doumbia

Le challenger

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