Lettre Ouverte à Son Excellence, Président de la Transition Général d’armée Assimi Goïta
«Au Mali, le pouvoir n’est jamais totalement ce que l’on croit. Il vous porte, mais il vous échappe. Il vous obéit, mais il vous dépasse» dixit Général Moussa Traoré.
Monsieur le Président de la Transition,
Peuple malien,
Frères et sœurs de douleur, d’espérance et de dignité,
Je prends aujourd’hui la plume avec cette boule dans la gorge que seule la vérité peut faire passer. Non pas en tant que femme politique, ni journaliste, encore moins opposante. Je parle en tant que citoyenne. Simple. Libre. Et profondément inquiète. Parce qu’il y a des moments dans la vie d’une nation où le silence devient complicité, et où toute conscience droite doit choisir le courage plutôt que le confort.
Je vous écris aujourd’hui au nom d’une douleur : celle d’un pays qui vacille, d’une transition qui se prolonge au point d’étouffer l’idée même d’un lendemain. Et surtout, au nom d’une inquiétude que je ne peux plus taire : celle de la possible dissolution des partis politiques au Mali.
Je sais que certains crient victoire à cette idée. Je les entends. Ils disent que les partis ont failli, qu’ils ont trahi, qu’ils sont devenus des clubs d’intérêt et de clientélisme. Et quelque part, ils n’ont pas tort. Il faut avoir le courage de dire que la classe politique malienne a, pour une large part, déçu son peuple. Elle a parfois troqué la mission de servir pour le confort d’exister. Elle s’est souvent contentée de calculs au lieu de convictions.
Mais faut-il pour autant raser la maison entière parce que ses locataires n’ont pas été à la hauteur ?
Qui sait ? Peut-être que ceux-là mêmes qui vous conseillent aujourd’hui de dissoudre les partis politiques… seront les premiers à vous trahir demain. Et peut-être, qui sait encore, que ce seront eux, et non vos adversaires, qui causeront votre chute.
Nous ne savons plus vraiment.
Nous sommes dans un bateau, Monsieur le Président, mais nous ne savons plus quelle est la dérive. Le courant est fort, la boussole tremble, et ceux qui rament ne savent même plus dans quel sens aller.
On nous avait promis un renouveau. On nous avait dit que le monde serait meilleur.
Mais plus le temps passe, plus nous avons l’étrange sensation que le monde redevient comme avant. Ou peut-être pire qu’avant. Et cela, ce n’est pas à cause du peuple. C’est à cause de ceux qui prétendent le servir.
Monsieur le Président,
Dissoudre les partis, ce n’est pas simplement un acte administratif. Ce n’est pas une réforme anodine. C’est un bouleversement structurel, une rupture brutale avec le principe fondamental du pluralisme. C’est remplacer le désordre démocratique par un silence autoritaire.
Et je me permets de vous le dire avec tout le respect dû à votre fonction : ce qui est fait en votre nom n’est pas toujours ce que vous voulez. Et ce que vous voulez, je veux croire que ce n’est pas d’entrer dans l’histoire comme celui qui aura ouvert la porte à l’extinction de la liberté politique au Mali.
Parce que ce n’est pas seulement une question de partis. C’est une question de respiration. Le multipartisme, aussi imparfait soit-il, est l’un des rares espaces encore debout où le citoyen peut canaliser sa colère sans prendre les armes, dire ses désaccords sans être un traître, espérer sans sombrer dans le silence.
Permettez-moi de citer encore une parole de sagesse, cette fois non pas d’un militaire ni d’un politicien, mais d’un vieux griot de Ségou, je cite :
«Quand tu veux reconstruire la case, commence par réparer les piliers, pas par chasser tous les anciens.» Fin de citation.
Les partis politiques, oui, ont besoin de réformes. Oui, certains doivent disparaître d’eux-mêmes. Mais cette disparition doit être organique, politique, démocratique. Pas imposé par décret. Il faut repenser leur financement, leur rôle, leur rapport au peuple. Il faut les forcer à se réinventer, à sortir du confort de l’inaction.
Mais dissoudre ? Ce serait l’aveu que nous avons renoncé à encadrer, à réformer, à corriger. Ce serait confier à l’État la totalité du monopole de la parole publique.
Et à ce moment-là, qui nous garantira que ce qui est vrai pourra encore être dit ?
Et pendant qu’on concentre tous les regards sur les partis, une autre inquiétude monte silencieusement : celle de la pression fiscale croissante sur les ONG et associations. Après l’imposition à tous de la contribution de 10 %, que chacun supporte comme il peut, voici que cette mesure menace d’être élargie aux structures qui, elles, ne fonctionnent souvent qu’avec 5 % de frais de gestion. Cela revient à leur demander de donner plus qu’elles ne reçoivent.
Il faut savoir que malgré certaines exemptions, ces organisations paient déjà des impôts indirects. Elles créent de l’emploi, consomment localement, soutiennent des milliers de familles, et interviennent là où l’État est absent. Les conséquences d’une telle mesure seraient brutales : licenciements massifs, réduction du soutien aux orphelins, veuves, déplacés, et l’arrêt de projets communautaires cruciaux.
Et tout cela pour quelques pourcentages sur des dons… des dons souvent envoyés par des cœurs solidaires de l’extérieur, désireux d’aider un village, une école, une cause humaine.
Si ces personnes se découragent, ce ne sont pas seulement les ONG qui s’effondreront, mais aussi les dernières digues sociales qui empêchent aujourd’hui le désespoir de devenir violence.
Monsieur le Président,
Vous incarnez aujourd’hui bien plus qu’un chef d’État. Vous êtes devenu le symbole de cette période de transition incertaine. Et dans cette position, tout ce qui se décide vous suivra, même quand vous ne serez plus là. La dissolution des partis politiques, si elle se confirme, deviendra une référence, un précédent. Et les précédents, en Afrique, ne meurent jamais. Ils dorment, et ressuscitent à chaque crise.
Je vous le dis avec le cœur et avec respect : ne laissez pas cette décision marquer votre passage au sommet de l’État. Refuser cette dérive, ce n’est pas céder aux partis politiques. C’est protéger le droit fondamental du peuple à s’organiser politiquement, même contre vous.
Et au peuple malien, à toi, mon frère, ma sœur, je dis ceci :
Nous ne devons pas applaudir les silences qu’on nous vend comme stabilité.
Nous ne devons pas encourager le vide politique sous prétexte de renouvellement.
Et surtout, nous ne devons jamais, jamais croire que moins de liberté, c’est plus d’ordre.
La démocratie ne meurt pas en un jour. Elle meurt par fatigue, par indifférence, par consentement au nom du calme. Mais un calme qui se paie au prix du bâillon finit toujours par devenir un orage.
Monsieur le Président,
Je vous ai écrit cette lettre non pas pour faire peur, mais pour réveiller. Car le pire n’est pas la trahison des dirigeants. Le pire, c’est le silence des citoyens.
Aujourd’hui, je parle. Demain, d’autres parleront. Et un jour viendra où la parole, au lieu d’être un risque, redeviendra une richesse.
Je ne prétends pas savoir. Je n’accuse personne. Mais dans ce pays, l’histoire nous a appris que les vrais dangers ne viennent pas toujours de ceux qu’on croit.
Avec respect, lucidité et amour pour ma patrie,
Je signe cette lettre en toute liberté,
Une fille du Mali, engagée pour la bonne cause.
AMINATA SISSOKO
Bamako, le 29/04/2025
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