Loi électorale: l’aveu, l’administration n’est pas crédible pour organiser seule les élections
Qui du gouvernement ou du Conseil national de la Transition (CNT) a voulu torpiller l’Administration et la dépouiller de ses prérogatives dans l’organisation des élections ? Dans la nouvelle loi électorale, l’Administration n’est plus chargée des « opérations de dépouillement des bulletins de vote, du recensement des votes, de la centralisation, de la proclamation, de la publication des résultats provisoires des scrutins par bureau de vote et de la transmission des procès-verbaux ». Raison : «ces dernières années, force est de constater que la présomption de culpabilité des Représentants de l’État dans la fraude électorale a entaché (sa) crédibilité, donc celle de l’État lui-même», telles sont les termes d’une circulaire à tous les chefs de circonscriptions administratives. Explications et analyse.
La loi N°2022-19 du 24 juin 2022 portant loi électorale finira-t-elle par livrer tous les secrets de son adoption et de sa promulgation ? Présentée comme « une motion de censure » déguisée contre le gouvernement qui dit ne pas se reconnaitre dans le texte voté et un désaveu personnel pour le Premier ministre, appelé à la démission par ses détracteurs à la perspective d’une rebelotte, la loi électorale promulguée par le président Assimi Goïta, le vendredi 24 juin 2024, reste au centre de la controverse et dans le point de mire des observateurs qui continuent de la scruter.
L’essentielle dans l’affirmation de la volonté des autorités de Transition est de hâter pour le retour à l’ordre constitutionnel en vue notamment de restaurer la confiance écorchée avec la communauté internationale, elle n’est pas moins un casus belli dans l’articulation des prérogatives et missions de l’Administration qui se voit crucifier par les honorables membres du conseil national de transition (CNT) au nom de l’émergence d’une Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE).
Même en faisant intervenir l’administration territoriale dans le processus électorale, les missions à elle confiées par le CNT dans la nouvelle loi électorale n’ont pas été à la hauteur des diatribes du jour de l’examen et de l’adoption.
Quels sont les missions confiées à l’Administration ?
Aux termes de l’article 5 de la N°2022-19 du 24 juin 2022 portant loi électorale, « le Ministère chargé de l’Administration territoriale a pour mission d’appuyer l’AIGE. A ce titre, il est chargé :
-de l’organisation technique et matérielle des opérations référendaires et électorales ;
-de la révision des listes électorales ;
-de la création, de l’emplacement et du ressort des bureaux de vote en rapport avec l’AIGE ;
-d’appuyer le suivi et la supervision de l’ensemble des opérations référendaires et électorales ;
-de la gestion du matériel et de la logistique des opérations référendaires et électorales et de la conservation du matériel après les élections ;
-de la détermination du nombre de Conseillers à élire par Commune, par Cercle, par Région et par District ;
-de la légalisation des candidatures et des procurations, conformément aux dispositions de la Loi n°64-21/AN-RM du 15 juillet 1964 déterminant les modalités des légalisations en République du Mali ;
-du financement public des partis politiques ;
-de la mise en place du matériel et des documents électoraux, en rapport avec l’AIGE.
Le Ministère chargé de l’Administration territoriale apporte également un appui technique à l’Autorité Indépendante de Gestion des Élections, notamment dans les domaines suivants :
-l’élaboration des procédures et actes relatifs aux opérations référendaires et électorales ;
-la formation électorale.
A l’extérieur, la Coordination de l’AIGE bénéficie du concours de l’Ambassade et du Consulat. »
Qu’est-ce que cela implique concrètement dans l’organisation et dans la gestion des prochaines élections ? Selon une circulaire (N°000832/MATD-SG) relative à l’adoption de la nouvelle loi électorale adressée à tous les Chefs de Circonscription administrative qui a circulé sur les réseaux sociaux, le ministre de l’Administration et de la décentralisation, le colonel Abdoulaye Maïga, tente de rassurer et de remobiliser les administrateurs qui se sentent déjà floués.
Selon lui, en application de la nouvelle loi électorale, « la nouvelle mission qui est confiée au Ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation est d’appuyer l’Autorité Indépendante de Gestion des Élections (AIGE), notre Organe Unique Indépendant de Gestion des Élections. Plus concrètement, il s’agira pour nous d’apporter notre aide à l’AIGE.
Par conséquent, dans nos attributions, entre autres innovations, nous retenons que le Ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation ne proclame plus les résultats provisoires et les Représentants de l’État n’interviennent à aucun moment dans le traitement et la gestion des résultats électoraux (opérations de dépouillement des bulletins de vote, recensement des votes, centralisation des résultats, publication des résultats provisoires). Ces attributions sont dorénavant celles de l’AIGE ».
En effet, l’article 4 de la loi votée par les honorables membres du CNT pour faire justice disons à l’Administration que Choguel K Maïga que voulait déplumer, confie à l’autorité indépendante de gestion des élections les missions suivantes :
« L’Autorité indépendante de Gestion des Élections a pour mission l’organisation et la gestion de toutes les opérations référendaires et électorales.
A ce titre, elle est chargée :
-de la confection, de la gestion, de la mise à jour et de la conservation du fichier électoral ;
-de la réception et de la transmission des dossiers de candidatures relatifs aux élections des Députés à l’Assemblée nationale, des Conseillers nationaux et des Conseillers des Collectivités territoriales ;
-de la sécurité, de la fiabilité, de la confidentialité et de l’intégrité des données électorales ;
-des opérations de dépouillement des bulletins de vote, du recensement des votes, de la centralisation, de la proclamation, de la publication des résultats provisoires des scrutins par bureau de vote et de la transmission des procès-verbaux ;
-de la gestion des observateurs nationaux et internationaux ;
-de la formation électorale et de la coordination des activités y afférentes ;
-de la publication et de la remise officielle de son rapport annuel d’activités ;
-de l’acheminement des procès-verbaux des consultations référendaires, présidentielles et législatives, accompagnés des pièces qui doivent y être annexées à la Cour Constitutionnelle, en rapport avec les Représentants de l’État ;
-de la centralisation des résultats des consultations électorales communales, régionales, de Cercle et de District et de la conservation des procès-verbaux ;
-du suivi et de la supervision de la révision des listes électorales à l’occasion des opérations référendaires et des élections dans les conditions prévues par la présente loi ;
-de la confection, de la personnalisation, de l’impression et de la remise des cartes d’électeur biométriques à l’occasion des opérations référendaires et des élections ;
-du suivi de la campagne électorale ;
-des opérations de délivrance des procurations de vote ;
-du suivi du déroulement des opérations de vote ;
-de l’élaboration de son budget annuel de fonctionnement et du budget des consultations référendaires et électorales.
-de la mise en place des cadres de concertation permanents avec l’Administration, les partis politiques et la société civile ;
-de la dénonciation des infractions aux autorités judiciaires compétentes.
L’AIGE participe à l’élaboration de la législation afférente aux élections».
Pourquoi le législateur du 17 juin 2022 sensé prendre à contre-pied toutes les propositions «claniques » du gouvernement a-t-il retiré à l’administration ses missions relatives aux « opérations de dépouillement des bulletins de vote, du recensement des votes, de la centralisation, de la proclamation, de la publication des résultats provisoires des scrutins par bureau de vote et de la transmission des procès-verbaux.» ?
La réponse n’est donnée ni par le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga ni par les deux ministres (Ibrahim Ikassa Maiga et Mme Fatoumata Sékou Dicko) que le gouvernement a envoyé au charbon pour défendre la loi électorale, mais a posteriori par le ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation.
En effet dans sa circulaire à tous les chefs de circonscriptions administratives, le colonel Abdoulaye Maïga explique que « ces dernières années, force est de constater que la présomption de culpabilité des Représentants de l’État dans la fraude électorale a entaché notre crédibilité, donc celle de l’État lui-même». Donc en clair l’administration n’a plus de «crédibilité» suffisante pour organiser les élections, compiler et publier les résultats.
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur et tentant d’apaiser ses troupes, le ministre justifie la mesure par «le fait de ne plus intervenir dans la gestion des résultats électoraux nous oblige à remercier nos plus hautes autorités, en particulier SE le Colonel Assimi Goïta, Président de la Transition, Chef de l’État, pour sa clairvoyance et sa détermination à Refonder notre État, ainsi qu’à préserver la crédibilité des Représentants de l’État. Cette orientation politique vise à protéger l’État lui-même, car en plus de la fonction que vous exercerez avec abnégation dans un contexte complexe, vous êtes d’abord et avant tout un symbole.
Les Représentants de l’État sont les déclinaisons du Chef de l’État au niveau de la Région, du Cercle et de l’Arrondissement, cela ne devrait jamais être oublié. Ceci vous oblige en permanence à avoir une conduite exemplaire et irréprochable. Il s’agira donc de poursuivre avec professionnalisme et efficacité la mission à vous confier, en veillant toujours à la neutralité et à l’impartialité qui s’imposent, notamment en matière électorale.
L’un des objectifs majeurs de la Transition est d’organiser des élections crédibles et transparentes. Pour relever ce défi, je vous invite à redoubler d’efforts et à apporter l’aide et le concours nécessaires à l’AIGE ».
Affaire à suivre