Mangal Traore, magistrat, expert charge de la relecture du code de procédure pénale : “L’avant-projet de Code de procédure pénale précise les motifs pour lesquels on peut placer quelqu’un en garde à vue contrairement au Code en vigueur qui évoque seulement les nécessités de l’enquête”
“Dans l’avant-projet de loi, il est prévude supprimer la Cour d’assises”
Dans l’interview qu’il a bien voulu nous accorder, Mangal Traoré, magistrat, expert chargé de la relecture du Code de procédure pénale parle des innovations apportées à l’avant-projet de Code de procédure pénale. Il ressort de l’entretien que des changements majeurs seront apportés dans le nouveau document, comme des précisions sur les motifs pour lesquels les suspects peuvent être placés en garde à vue sans oublier la suppression de la cour d’assises.
Aujourd’hui-Mali : En tant qu’expert en la matière, pouvez-vous nous parler de la différence entre le Code de procédure pénale et le Code pénal ?
Mangal Traoré : La différence qu’il y a entre le Code pénal et le Code de procédure pénale réside dans le fait que le Code pénal fixe les actes dont la commission ou la non commission est considérée comme étant une infraction, punie et réprimée par la loi. Dans ces comportements, il y a les moins graves comme les contraventions.
Comme contravention, il y a par exemple, le fait de s’asseoir derrière sa fenêtre la nuit à une heure tardive pour prendre du thé avec des amis et mettre la musique à fond. Cela constitue un tapage nocturne qui n’est pas autorisé à partir d’une certaine heure et qui peut conduire l’auteur au poste de police et faire l’objet d’un procès-verbal pour contravention. C’est un fait qui est puni de 300 à 18 000 F CFA d’amende ou d’un emprisonnement de 1 à 10 jours selon le Code pénal en vigueur.
Il y a aussi les faits d’une gravité moindre comme le cas de vol à l’arrachée (exemple, arracher le sac d’une dame au marché et prendre la fuite), il y a aussi les cas d’abus de confiance, par exemple, emprunter la moto d’un ami prétextant aller faire une course et vendre la moto pour venir ensuite dire que cet engin a été volé. Si la preuve est établie que la moto a été vendue à une tierce personne, cela constitue un cas de délit et pour les délits, le prévenu peut écoper au maximum de cinq ans de prison.
Il y a aussi les faits les plus graves qui sont des crimes, comme le fait de tuer quelqu’un, d’empoisonner quelqu’un, les atteintes aux biens publics par détournement, le fait de commettre des actes de terrorisme en posant un engin explosif sur le passage des routes principales ou secondaires avec la volonté de faire le maximum de victimes, de se livrer au trafic de stupéfiants.
Tous ces faits sont des crimes qui sont punis de plus de cinq ans d’emprisonnement jusqu’à la peine de mort. Voilà une illustration de la catégorisation que le Code pénal prévoit pour les différentes infractions.
Le Code de procédure pénale permet justement de mettre en musique les dispositions qui sont prévues dans le Code pénal. En ce sens que lorsqu’une infraction est commise, c’est le Code de procédure pénale qui détermine comment est-ce que les faits sont constatés, les preuves sont rassemblées, quelles sont les autorités qui sont habilitées à constater ces faits. Ces autorités sont les officiers et agents de police judiciaire qui travaillent généralement soit dans les commissariats de police ou au niveau des Brigades de gendarmerie.
Ces autorités, une fois leur travail terminé, vont conduire le suspect en fonction du lieu de commission devant le procureur de la République compétent. Une fois que celui-ci est saisi, le Code de procédure pénale indique quelle est sa marge de manœuvre et s’il peut classer la procédure ou déférer le suspect devant le tribunal pour qu’il soit jugé et dans quel délai.
Toujours pour illustrer, s’il s’agit d’un assassinat, l’intéressé ne peut pas être jugé aussitôt. Il faut amener le dossier devant un juge d’instruction qui va faire des investigations beaucoup plus poussées pour procéder soit à des confrontations avec des témoins, soit se déplacer sur les lieux ou encore mener d’autres investigations contre la personne inculpée qui sera éventuellement jugée par une Cour d’assises en fonction des éléments de preuve rassemblés. Donc, c’est ce qui est normalement prévu par le Code de procédure pénale.
Mais si ce sont des faits de moindre gravité, comme le cas de vol à la suite duquel le prévenu reconnaît les faits, c’est le tribunal correctionnel qui sera compétent pour le juger. Voilà en somme quelles sont les règles qui sont prévues par le Code de procédure pénale. Et si l’intéressé est jugé, soit il est reconnu non coupable, en ce moment, il sera relaxé devant le tribunal correctionnel ou acquitté s’il est devant la Cour d’assises. S’il est reconnu coupable, il sera condamné et s’il n’est pas satisfait de la condamnation, devant quelle Cour d’appel il peut porter son recours ? Quelles sont les voies de recours qui lui sont ouvertes et dans quel délai il doit agir ? Voilà pour schématiser ce dont parle le Code de procédure pénale.
C’est pour expliquer quelle est la démarche à suivre pour arriver depuis la commission des faits jusqu’au jugement de la personne à travers les étapes à franchir et quels sont les actes à poser par ceux qu’on appelle les acteurs de la chaîne pénale (enquêteurs, parquet, juge d’instruction, président du tribunal correctionnel ou de simple police…)
L’actuel Code de procédure pénale est en vigueur depuis quand ?
C’est un Code qui date de 20 ans pratiquement. Parce que le Code a été relu précisément en 2001. Depuis que le Mali est indépendant, nous avons eu un Code pénal en 1961 et en 1962 un Code de procédure pénale. Ce code avait fait l’objet de tentatives de relecture une ou deux fois dans les années 1990 et 1997 qui n’ont pas abouti. Ensuite, une commission avait été mise en place en 2001 par le ministère de la Justice qui a pu achever le processus de relecture du code qui a été soumis à l’adoption de l’Assemblée nationale. Pratiquement, depuis 2001, il a fait l’objet de quelques relectures très ponctuelles.
Aujourd’hui, le Code est en relecture. Quelles sont les raisons de cette relecture ?
Les raisons ! C’est que le Droit est un peu comme l’être humain, il évolue. Il y a des étapes dans l’évolution d’un être humain tout comme il y a des étapes dans l’évolution du Droit. Il y a des normes aujourd’hui qui n’étaient pas très bien perçues il y a une vingtaine d’années mais qui, aujourd’hui, sont importantes, donc qu’il faut adapter ces normes à l’évolution même du Droit.
Je prends un exemple concret. Il y a toute une problématique qui est liée à ce qu’on appelle la protection des témoins et des victimes qui, actuellement, est un centre d’intérêt en matière de procédure pénale compte tenu de la complexité de certaines infractions telles que les infractions de terrorisme, de trafic international de la drogue, de traite des personnes, de blanchiment de capitaux, les agressions sexuelles… qui peuvent exposer la vie des témoins ou des victimes à des représailles ou tout simplement les traumatiser pour toute la vie.
Que faire pour mieux protéger ces témoins et victimes et les soustraire à des représailles ? L’avant-projet apporte des réponses à ce type de questionnement qui n’étaient pas au-devant de la scène il y a quelques années.
Il y a aussi des vides juridiques à combler, des domaines sur lesquels il y a 20 ans on n’avait pas pensé légiférer comme la mise en œuvre de la responsabilité pénale des personnes morales. Notre pays a aussi souscrit à des engagements internationaux y compris sur le plan sous-régional sur un certain nombre de questions, par exemple en matière de protection des données personnelles, de lutte contre la corruption ou de lutte contre le terrorisme ou la criminalité transnationale. Il faut harmoniser les textes que nous avons avec ces engagements pour que nous soyons en phase avec non seulement l’évolution du Droit mais également les engagements souscrits en tant que pays souverain.
Au-delà des insuffisances évoquées, est-ce qu’il y a d’autres points à améliorer ?
C’est dans la pratique que l’on constate des insuffisances. Parce que quand on vote un texte de loi, dans son application, on peut se rendre compte qu’il y a des problèmes par rapport à tel ou tel aspect dont certains sont d’ailleurs traités par la jurisprudence des tribunaux. Il convient cependant d’apporter des correctifs à certains aspects parce qu’ils n’ont pas été suffisamment réglementés. C’est dans ce cadre que l’avant-projet du Code de procédure pénale a procédé à titre d’exemple à un meilleur encadrement de la garde-à-vue. Actuellement, les dispositions du Code de procédure pénale sur la garde-à-vue sont laconiques, très sommaires.
Les textes disent que pour des “nécessités de l’enquête”, un suspect peut être retenu en garde-à-vue pendant 48 h renouvelables à 72 h. Mais, qu’est-ce qu’on entend par “nécessités de l’enquête ?” Le Code actuel ne le dit pas.
Donc, cette insuffisance a été corrigée dans l’avant-projet du Code de procédure pénale pour préciser les motifs et les cas pour lesquels l’officier de police judiciaire place un suspect en garde-à-vue.
Au nombre de ces motifs, on peut citer la nécessité d’éviter que l’auteur des faits ou le suspect entre en collusion avec des complices pour faire disparaître des preuves, soit pour éviter qu’il prenne la fuite et de s’assurer de sa personne parce qu’il n’a pas d’adresse connue par exemple ; soit encore pour éviter un trouble plus grave à l’ordre public en le laissant en liberté parce qu’il a commis des faits qui sont très graves. Si on le laisse en liberté, les populations peuvent le lyncher. Ce sont là motifs spécifiés qu’il faut mettre en avant désormais pour justifier un placement en garde-à-vue.
Cet exemple est un cas concret qui illustrer des vides juridiques qui n’étaient pas encore bien perçus il y a quelques années. Dans le même ordre d’idées, l’avant-projet de Code de procédure pénale apporte aussi davantage de précisions sur l’intervention de l’avocat en matière de garde-à-vue pour mettre l’accent sur la nécessité de respecter et garantir les droits de la défense à tous les stades de la procédure.
Certains pensent que le délai des traitements des dossiers par les magistrats par rapport aux infractions n’est pas précisé. Est-ce que cet aspect a été évoqué lors de la relecture du Code ?
Je pense que cette affirmation n’est pas exacte et mérite d’être nuancée. Parce que quand une infraction est commise, cela dépend de la nature des faits. Il y a des faits qui sont très simples qui n’ont pas besoin d’une investigation très poussée.
Pour être concret, quelqu’un qui commet un vol au Grand marché de Bamako et qu’on arrête sur les faits et qui avoue. En ce moment, il n’est pas besoin d’un long délai pour le juger et le Code de procédure pénale prévoit des modes simplifiés tels que la procédure de flagrant délit ou de comparution immédiate qui permettent d’aller vite au jugement soit immédiatement soit avec un report de quelques jours ou semaines.
Pour d’autres cas, le Code de procédure pénale aménage un délai en matière de citation directe lorsque le prévenu fait l’objet de mandat de dépôt. Il doit en principe être jugé dans un délai de quatre mois au plus ou mis en liberté en attendant le jugement.
Mais, par contre, quelqu’un qui est pris sur les faits avec une quantité importante de drogue et accusé d’être impliqué dans un trafic avec des ramifications, des complicités au Mali et en dehors du Mali, il faut bien que la justice se donne le temps de remonter toute la filière pour voir d’abord comment cette personne opère habituellement, quelles sont les ramifications dont il dispose. Cela peut prendre des mois, des années. C’est la raison pour laquelle en la matière on ne peut pas dire qu’on enferme le travail du juge dans un délai. Parce que si on l’enferme dans un délai, il risque de bâcler l’instruction et les faits ne seront pas établis dans leur matérialité. Et si l’accusé est acquitté, les gens diront que le juge n’a pas bien fait son travail.
C’est pour dire qu’il est difficile d’enfermer le travail d’un juge dans un temps. Si les faits sont simples, ce n’est pas normal que l’accusé attende 6 mois pour être jugé. Je ne pense pas que le procureur de la République qui est saisi d’un dossier simple tel qu’on vient d’en parler mette 6 mois pour faire juger le prévenu qui a avoué depuis son arrestation sauf pour des motifs qui ne sont pas toujours bien maîtrisés comme les citations qui n’ont pas été délivrées dans les formes prescrites par la loi, la non comparution d’un témoin, les demandes d’expertises, les demandes de renvoi du dossier par le prévenu ou l’avocat du plaignant , partie civile…
Du 15 au 20 août dernier, vous avez tenu un atelier de validation de l’avant-projet de Code de procédure pénale. Quelles sont les grandes recommandations issues de cet atelier ?
Il faut surtout parler des innovations qui peuvent avoir des impacts sur la vie quotidienne au lieu de parler de recommandations. Comme innovations, je parlerai de 4 ou 5 points. Car le Code de procédure pénale déroule des questions très techniques au risque de désorienter vos lecteurs.
De façon concrète, comme grandes innovations, je mettrai l’accent sur d’abord sur la garde-à-vue. Quand quelqu’un est arrêté pour avoir commis un vol ou s’est bagarré dans la rue et a blessé son adversaire ou encore est arrêté pour avoir donné la mort à son prochain, il est gardé à vue dans quelles conditions ? Le Code actuel est resté très laconique, très sommaire sur ces questions que j’ai eu l’occasion de développer. Je voudrais juste ajouter que dans l’avant-projet de Code de procédure pénale, toute infraction qui n’est pas punie d’un an d’emprisonnement au minimum n’est pas susceptible de mesure de garde-à-vue. Cela est une innovation importante. C’est pour éviter que les gens ne soient arrêtés pour n’importe quel motif. Donc avec le nouveau Code de procédure pénale une fois entré en vigueur, pour mettre quelqu’un en garde-à-vue, il faut que l’infraction soit punie au minimum d’un an d’emprisonnement.
Il y a un autre vide juridique très important au niveau de la garde-à-vue qui n’a pas été corrigé dans l’actuel code. Il n’est pas précisé celui qui doit assurer la prise en charge de l’alimentation de la personne en garde-à-vue. L’avant-projet de Code indique que si quelqu’un est mis en garde-à-vue, il sera nourri pendant le temps qu’il passe en garde-à-vue par les services de police judiciaire.
C’est ce qu’on appelle les frais de justice criminelle ou frais de justice pénale. Ces frais doivent être pris en charge dans le budget du Trésor public et c’est l’Etat qui doit assurer l’alimentation des gens en garde-à-vue. Actuellement, ce sont les parents qui apportent à manger mais quid de celui qui n’a aucun parent pour lui porter un secours ? Cela constitue un vide juridique.
Il est par ailleurs prévu qu’au moment de la garde-à-vue pour des faits les plus graves, uniquement pour les cas de crimes, il sera possible de procéder à des enregistrements d’interrogatoire de suspects pour que devant le juge d’instruction ou devant la juridiction de jugement, s’il y a des contradictions qu’on puisse faire des confrontations avec l’enregistrement. Parce que souvent, les gens nient les déclarations faites à ce stade pour divers motifs. Mais s’il y a un enregistrement qui est disponible, cela permet de mieux connaître les faits et au tribunal ou au juge d’instruction de se faire une opinion sur les déclarations enregistrées et niées par l’intéressé.
Enfin, l’avant-projet de Code de procédure pénale précise que les personnes gardées à vue, adultes et mineures doivent être dans des locaux séparés pour ne pas créer un problème de promiscuité qui peut engendrer des effets très nocifs sur l’attitude et le comportement du mineur.
D’autres innovations existent. Dorénavant, quand une infraction est commise, ceux qui sont chargés de la police judiciaire, c’est-à-dire les enquêteurs au niveau de la police judiciaire auront l’obligation de convoquer les victimes pour les informer sur leurs droits. Par exemple, si vous avez été victime de vol, vous pouvez, selon vos moyens, prendre un avocat, avoir recours à une institution de défense de droit de l’Homme pour assurer votre défense, préserver vos intérêts. Vous pouvez vous constituer partie civile, demander réparation sous forme de dommages-intérêts. Il s’agira ainsi d’une obligation à la fois pour l’officier de police judiciaire et pour le juge d’instruction pour informer les victimes. Parce qu’une infraction peut être commise sans que les victimes soient informées sur la suite. Donc, il y a désormais une obligation d’information et dans une langue que les victimes comprennent. Cela permet de faire en sorte que les victimes soient au même niveau d’information pour que leurs droits soient préservés. Cela est un point utile qu’il faut souligner en matière de garde-à-vue, d’enquêtes et d’instruction avant le jugement.
La grande innovation pour le jugement, c’est la suppression de la Cour d’assises parce qu’aujourd’hui la Cour d’assises existe mais pour la réunir c’est très compliqué et cela demande énormément de moyens de la part de l’Etat. Par exemple, pour faire juger une cinquantaine d’accusés à la Cour d’assises, les budgets sont très élevés. Outre le concours des magistrats, il faut assurer la présence des assesseurs (des personnes respectables choisies au sein de la société pour venir compléter les juges). Tout ceci financièrement est très lourd et fait que dans l’année, on tient à peine deux ou trois sessions avec au maximum une centaine d’accusés pendant que plusieurs centaines de dossiers sont en souffrance en attente de jugement.
La conséquence essentielle est que les prisons sont surpeuplées. Parce que des gens sont accusés d’avoir commis des crimes mais attendent souvent des années avant d’être jugés même si la procédure est terminée.
L’autre point important à dire, c’est que quand quelqu’un est jugé au niveau de la Cour d’assises, il ne peut pas faire appel s’il n’est pas satisfait. Il peut faire un pourvoi en cassation devant la Cour suprême. Mais la Cour suprême est différente de la Cour d’appel qui peut mieux examiner les faits reprochés dans leur totalité.
Par contre, la Cour suprême ne juge pas les faits, elle ne juge que le droit pour voir si la loi a été correctement appliquée par la Cour d’assises. Donc, tous ces dysfonctionnements vont être corrigés. Parce que dorénavant quand les textes vont être adoptés, n’importe quel tribunal de grande instance des communes de Bamako ou de l’intérieur du Mali où les crimes ont été commis sera compétent pour juger les affaires relevant normalement de la Cours d’assises. C’est ce qu’on appelle les chambres criminelles au niveau des tribunaux de grande instance. Donc, cela va permettre de rendre le jugement des affaires criminelles dans des délais raisonnables. Je rappelle que cette innovation proposée est déjà vigueur dans plusieurs pays de la sous-région. Le Mali est largement en retard sur ces questions.
Une autre grande innovation dont on peut parler porte sur les Pôles spécialisés qui existent mais dont l’organisation et le fonctionnement ont été davantage renforcés. Il y a en effet un Pôle spécialisé contre la délinquance économique et financière au sein du Tribunal de grande instance de la Commune III du district de Bamako, un Pôle spécialisé contre le terrorisme et la criminalité transnationale au sein du Tribunal de grande instance de la Commune VI du district de Bamako et enfin un Pôle spécialisé contre la cybercriminalité dont les textes ont été récemment finalisés. L’intérêt de la mise en place de ces pôles est de faire en sorte qu’ils soient mieux outillés pour répondre à certaines formes de délinquance assez complexe.
Ces pôles vont comporter toutes les formations spécialisées depuis la police judiciaire, le cabinet d’instruction, le procureur de la République, les chambres spécialisées de jugement au sein du Tribunal de grande instance et devant la Cour d’appel. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Quelqu’un auquel on reproche par exemple des faits de terrorisme ou de blanchiment de capitaux, même si son dossier est clos, pour qu’il soit jugé, il faut encore attendre quelquefois des années parce qu’il n’y a pas de formations spécialisées dans ces tribunaux où les magistrats sont occupés par d’autres procédures. Il s’agit de faire en sorte qu’il y ait des formations spécialisées et dédiées à plein temps sur ces questions qui sont des formes de criminalités très complexes contre lesquelles il faut davantage de moyens en termes de ressources humaines et de moyens d’investigations.
Cela est un autre point qui fait partie des centres d’intérêts sur lesquels il faut insister, c’est la mise en place des techniques spéciales d’enquêtes (TSE) qui permettront aux magistrats et aux enquêteurs des différentes pôles précités de recourir à des moyens d’investigation tels que les enquêtes sous pseudonyme, de faire des enquêtes sans faire connaître son identité réelle ; d’avoir recours à des infiltrations des réseaux criminels en se faisant passer comme un élément de ce réseau alors qu’en réalité l’enquêteur travaille pour la justice, le fait de pouvoir intercepter à distance les communications, le fait de pouvoir capter à distance des données informatiques communiquées en temps réel ; le fait de pouvoir filmer à distance des individus, le fait de pouvoir géo-localiser à distance des personnes soupçonnées d’être impliquées dans des réseaux criminels.
Tous ces dispositifs n’existent pas actuellement alors que les délinquants comme on le dit ont toujours une longueur d’avance en termes d’ingéniosité. Donc, l’avant-projet de Code de procédure pénale a précisé ces moyens et fixé le temps dans lequel ces moyens peuvent être mis en œuvre. Parce que ce sont des moyens qui portent atteinte à la liberté des individus, à leur vie privée, à leur intimité. Parce que filmer quelqu’un à son insu, l’enregistrer à son insu et le géo-localiser à son insu, cela porte atteinte à sa vie privée. Donc pour éviter qu’il y ait des abus dans ce domaine, tous ces dispositifs ont été canalisés dans des délais précis pour des motifs spécifiés par les autorités habilitées en la matière (procureur de la République et juge d’instruction) avec des périodes de mise en œuvre et de renouvellement dans le temps.
Une autre innovation qui est un vide juridique concerne les cas d’autopsie au Mali qui ne sont pas réglementés. Quelqu’un qui décède dont on ne connaît pas les causes de sa mort ou dont on suspecte qu’il n’est pas décédé de mort naturelle. Rien n’est prévu de façon légale aujourd’hui pour dire ce qu’il est possible de faire.
Cette question a été prise en charge dans l’avant-projet de Code de procédure pénale pour dire que ce qui est possible de faire en matière d’autopsie, comment cela doit se faire, quelle est l’autorité médicale qui est habilitée à le faire ainsi que les droits de la famille de la personne dont la dépouille doit être autopsiée. Tout cela est désormais réglementé, bien clarifié, bien précisé.
Le dernier point important dont je parlerai porte sur l’institution du juge d’application des peines. L’intérêt de cette institution, c’est quand quelqu’un est condamné à une peine de prison, par exemple à deux ans de prison, une fois que les deux ans arrivent à expiration, l’intéressé sort et peut facilement replonger dans la délinquance parce qu’il n’y a aucun encadrement a priori pour préparer son retour à la vie normale.
Le juge d’application des peines et le tribunal d’application des peines serviront ainsi à préparer l’amendement des personnes qui sont condamnées et faciliter la réinsertion à travers des mesures graduelles comme la semi-liberté, la libération conditionnelle… pour permettre à ces personnes de pouvoir travailler à l’extérieur de la prison en tenant compte de leur comportement exemplaire.
Il y a encore d’autres innovations dont on pourrait parler pendant des jours mais je ne veux pas ennuyer le lecteur avec des explications assez techniques.
Après l’atelier de validation, quel est le reste du processus pour la mise en œuvre du nouveau Code de procédure pénale ?
L’atelier de validation a déjà formulé un certain nombre de recommandations et de propositions que les experts vont intégrer chacun en ce qui le concerne au niveau du Code pénal et au niveau du Code de procédure pénale. Cela va nous prendre certainement une quinzaine de jours pour s’assurer que tout a été pris en compte.
Et après, les textes corrigés seront transmis au directeur de la direction nationale des affaires judiciaires et du sceau qui est en même temps le président de la Commission permanente législative (CPL) afin que celui convoque cette commission dont les membres devront s’assurer que toutes les recommandations et corrections ont été intégrées dans les textes finalisés.
Une fois que ce travail aura été fait, le travail des experts prend fin. En ce moment, c’est la direction nationale des affaires judiciaires et du Sceau qui va reprendre le flambeau et soumettre les textes au ministère de la Justice qui va à son tour les soumettre au Conseil des ministres avant de transmettre les avant-projets de Code pénal et de Code de procédure pénale au Conseil national de transition (CNT). Donc, l’un dans l’autre, il faut compter à peu près 3 ou 4 mois pour que toutes ces étapes soient franchies.
Avez-vous espoir que les nouveaux Codes entreront en vigueur cette année 2022 ?
C’est un vœu que je formule parce qu’il s’agit des textes assez importants qui conditionnent la vie de la nation dans tous les secteurs et qui sont en cours d’élaboration depuis bientôt cinq ans ou même plus.
Une fois que l’atelier de validation a fini son travail, une fois que le Conseil des ministres aura adopté ces avant-projets et s’il n’y a pas un obstacle fondamental qui empêche que le CNT puisse examiner ces textes, à mon avis, ils peuvent être votés soit à la fin de l’année, soit au début de l’année prochaine en 2023.
Combien d’experts ont eu à travailler sur le document ?
Nous sommes deux experts à travailler sur ces avant-projets de Codes. Il y a un expert qui est sur le Code pénal et un expert sur le Code de procédure pénale. Pour l’histoire, il y a 20 ans, les deux experts que nous sommes, Christian Idrissa Diassana sur le Code pénal et moi-même sur le Code de procédure pénale, étions rapporteurs des deux commissions du ministère de la Justice qui ont relu le Code pénal et le Code de procédure pénale. M. Diassana était le rapporteur sur le Code pénal en 2001 et moi-même j’étais le rapporteur sur le Code de procédure pénale.
Mais cette fois-ci, nous sommes deux experts. Après un travail d’écoute de plusieurs mois et une recherche documentaire approfondie ces avant-projets ont été soumis aux sessions de la Commission permanente législative (CPL) du ministère de la Justice et des Droits de l’Homme présidée par Mohamed M. Najim ( que je salue au passage pour son engagement ) qui regroupe des personnes ressources aussi bien des services centraux, des juridictions, de la société civile, des partenaires techniques et financiers, des autres départements ministériels en fonction de leur niveau d’implication par rapport à ces textes, tous ces membres de la CPL que je tiens aussi à remercier pour les contributions pertinentes et toujours de haute tenue lors des discussions et des débats sur ces textes sensibles.
Votre mot de la fin ?
Comme mot de la fin, c’est surtout insister sur le fait que ces deux codes comportent beaucoup d’innovations et ont besoin d’être bien compris et bien maîtrisés. Leur mise en œuvre demande aussi des moyens et dans la durée. Quand je prends l’exemple du Code de procédure pénale qui est en vigueur, il y a 20 ans j’étais le rapporteur de ce texte au niveau du ministère de la Justice.
Quand nous avons fini le travail et qu’il a été adopté au niveau de l’Assemblée nationale, nous avons pris près d’un an pour l’expliquer aux praticiens en faisant le tour des régions et des cercles du Mali parce que dans ce texte il y avait aussi plusieurs innovations dont la plus importante portait sur les limitations de la détention provisoire en matière de crime ou de délit qui n’existaient pas auparavant.
Dans le code actuel, il est précisé que l’inculpé qui est en prison pour crime peut être détenu pour un an renouvelable deux fois, soit 3 ans au total. Un inculpé qui est en prison pour délit peut être détenu pour 6 mois renouvelable une fois. Ces notions étaient des concepts très nouveaux et complètement inconnus par les juges y compris dans plusieurs pays de la sous-région à l’époque. Il a fallu beaucoup de pédagogie pour expliquer ces questions sur la nécessité de respecter les droits et libertés malgré la gravité des faits reprochés aux individus. C’est cela l’enjeu essentiel de la procédure pénale, l’équilibre nécessaire entre la protection de la société et le respect des droits et libertés.
A l’époque nous étions une équipe de quatre personnes Il y avait bien entendu Christian Idrissa Diassana (présentement président de la Chambre criminelle de la Cour suprême) et feu Mamadou Tidiane Dembélé (paix à son âme) sur le Code pénal tandis que Wafi Ougadèye (ancien président de la Cour suprême et actuellement conseiller spécial du président de la Transition) et moi-même étions sur le Code de procédure pénale.
Outre cette appropriation par les magistrats chargés d’appliquer ces textes au quotidien, il faut aussi un travail de vulgarisation auprès des autres acteurs concernés et des populations. Parce que tout ce que je viens d’expliquer porte sur des concepts très nouveaux. C’est le lieu encore une fois de plus de remercier tous les ministres de la Justice qui ont été à la tête du département depuis bientôt 5 ans. Parce que le fait de confier ce genre de travail à des experts nationaux n’était pas évident compte tenu de la complexité des thématiques qui sont traitées par ces textes et des enjeux liés à leur application. C’est à ce titre que je salue l’actuel garde des Sceaux, Mamoudou Kassogué ainsi que Messieurs Mohamed Sidda Dicko, Hamidou Younoussa Maïga, Me Malick Coulibaly, Tiéna Coulibaly et Me Mamadou Ismaïla Konaté.
Je salue également Mme Miriam Lutz, directrice représentante de l’USAID au Mali, ses principaux collaborateurs ainsi que Me Jean Lavoie, directeur de l’USAID-MJP qui a assuré pour le compte du Ministère de la Justice et des Droits de l’Homme le recrutement des experts pour ce chantier exaltant.
Propos recueillis par
Kassoum Théra
Source: Aujourd’hui Mali