Réformes institutionnelles : Quiproquo autour de la nouvelle Constitution
L’avant-projet de Constitution du Mali a été remis au président Assimi Goïta, mais le texte continue de couler des salives et beaucoup d’encre. Les Maliens ne parlent plus que de la première mouture de la future loi fondamentale écrite par de hauts cadres maliens. L’une des particularités de ce texte est qu’il est écrit par des experts nationaux contrairement au texte proposé pour la révision sous l’ancien président IBK en 2017.
II semble y avoir un hiatus entre les experts et une partie du peuple qui est vent-débout contre l’article 31 de l’avant-projet de Constitution. Tout le monde semble vouloir tirer sur l’avant-projet de Constitution présenté au chef de l’Etat avant d’être vulgarisé. Ainsi, les syndicats de la magistrature ne sont pas contents de certains aspects qui constituent pour eux des reculs des droits de l’homme. C’est pourquoi le SAM et le SYLIMA ont clairement opposé une fin de non-recevoir à l’avant-projet de Constitution qui pourrait mettre en péril la démocratie et les droits de l’homme chèrement acquis avec les évènements de mars 1991 ayant abouti à un changement de régime.
L’un des aspects de la première mouture de la Constitution est le mariage qui est défini comme l’union entre un homme et une femme. En d’autres termes, l’homosexualité dont la promotion est faite par certains milieux occidentaux sera expressément interdite au Mali si la nouvelle Constitution est adoptée. Les Maliens ont réagi face à la perspective de l’interdiction de la culture gay dans la Constitution. En effet, beaucoup ont apprécié cette interdiction, notamment dans les milieux religieux.
Les premières critiques contre le projet de constitution viennent d’hommes et de femmes mécontents du fait que l’article 31 n’ait pas décidé l’officialisation des langues nationales en complément du français. Ce qui semble déranger certains, c’est le maintien du français comme seule langue d’expression officielle du pays. Mais il y a une divergence de point de vue chez les détracteurs de l’article 31. Certains veulent que le Bambara soit la langue officielle tandis que d’autres voient en cela les germes d’un futur conflit.
Certains estiment que des forces étrangères n’attendent que l’officialisation du Bambara seulement pour pousser et armer d’autres ethnies du pays contre l’Etat central. Pour éviter que la question de langue ne divise les Maliens, des défenseurs de la transition proposent l’officialisation de toutes les langues nationales au nombre de 13(treize). Ceux qui préconisent cette démarche estiment que des pays, comme l’Inde qui a 22 langues officielles ou encore l’Afrique du Sud qui en compte 11, sont des exemples en la matière.
Doute entre alliés
Au même moment, la transition est en train de perdre certains de ses soutiens depuis quelques mois en raison des erreurs de gouvernance. Dans un communiqué, le mouvement Yèrèwolo Debout sur les remparts ne cache plus sa colère tout comme des groupes et personnalités connues pour leur soutien à la transition. On est loin du divorce entre la transition et ses supporteurs, mais ces derniers n’hésitent plus à sortir contre certains choix en matière de gouvernance et d’orientation des actions publiques. L’une des raisons de la colère de ces défenseurs de la transition est liée à l’administration.
En cause, le maintien des mauvaises pratiques au sein de l’administration publique. Dans ce cadre, les milieux de la justice sont pointés du doigt par les critiques qui estiment que la transition doit et peut mieux faire pour que les tribunaux maliens rompent avec les anciennes pratiques. Beaucoup de citoyens se plaignent en effet des agissements d’hommes et de femmes agissant au nom de la loi en violant les principes de fonctionnement de la justice. Dans certains cas, il s’agit d’actes répréhensibles commis par des fonctionnaires censés rendre la justice en se mettant au service du peuple. Les personnes qui sont coupables de tels actes dans les tribunaux du pays sont connues de tous, mais il semble que le contrôle fait défaut de la part de la hiérarchie. On assiste ainsi à des cas de procès fleuves dont les dessous sont liés à la corruption et l’implication des spécialistes dans la complication des dossiers jugés. Certains responsables connus dans les tribunaux pour leur avidité ne sont pas inquiétés par les autorités judiciaires qui doivent travailler au changement.
Les soutiens de la transition reprochent aussi aux autorités le maintien des pratiques de favoritisme dans les services publics. Il s’agit notamment des recrutements qui sont le plus souvent entachés d’irrégularité. On a vu plusieurs preuves de la persistance des anciennes pratiques de corruption en matière de recrutement. Ces preuves se trouvent sur la place publique dans certains cas, ce qui montre que le changement tant souhaité par les Maliens reste difficile à atteindre.
Enfin, l’autre aspect du mécontentement des soutiens de la transition est lié au choix des personnalités censées jeter les bases du changement à travers l’avant-projet de constitution. Les premières critiques et les plus violentes contre cet avant-projet viennent des supporteurs de la transition. Les espoirs suscités chez les masses populaires ne sont pas pris en compte dans l’avant-projet de Constitution. Il y a eu de nombreux rassemblements notamment au sujet de l’article 31 de l’avant-projet.
Il faut retenir aussi que le choix des 26 nouveaux membres du Conseil national de transition (CNT) a fait plus de mécontents que de bien heureux. La décision du président de la transition d’impliquer d’anciens dignitaires du pays a été largement désapprouvée par l’opinion nationale qui estime qu’il y a suffisamment de personnes au Mali pour que ce soit toujours les mêmes têtes qui reviennent au-devant de la scène. Les gens ne comprennent pas la logique du président de la transition qui s’est montré peu soucieux des critiques de la plupart des citoyens contre les personnalités des régimes précédents.
Assimi Goïta a-t-il choisi les membres du CNT par affinité politique ou sociale ? Difficile à dire. Mais les reproches concernent surtout le choix des personnalités comme l’ancienne ministre de la Famille, Mme Sina Damba qui a été aux affaires sous le président Amadou Toumani Touré. Cette dame a eu tous les privilèges au Mali pour que ce soit elle qui représente à nouveau les populations au sein du Conseil national de transition alors que les femmes battantes sont nombreuses. L’ancienne ministre a même été recrutée spécialement dans la fonction publique à un âge avancé.
Au même moment, des milliers de jeunes et de citoyens honnêtes souffraient en faisant la queue pour déposer leurs dossiers pour les recrutements sans y parvenir. Il est clair que l’ancienne ministre a demandé à être au CNT, puisqu’elle avait trouvé une opportunité de pression en créant une organisation regroupant les anciennes ministres et femmes parlementaires du pays. On peut estimer que ce groupe de pression a dû payer en faisant du lobbying en faveur de l’ancienne ministre.
Assimi semble avoir choisi de faire de l’organe législatif de la transition une affaire d’élite au détriment du bas peuple. Les femmes et les jeunes ruraux ne sont pas représentés au sein du CNT. Les paysans non plus ne sont pas représentés bien qu’ils constituent une couche socio-professionnelle importante dont les efforts sont régulièrement loués par les membres de la transition. Personne ne peut dire avec exactitude ce qui a pu bien orienter la décision du président de la transition.
On imagine qu’Assimi n’a pas agi seul en sélectionnant les nouveaux membres du CNT. Il a dû tenir compte de l’avis du colonel Malick Diaw, l’un des cinq colonels. Quoi qu’il en soit, les Maliens ne sont dans leurs grandes majorités contentes de la décision des autorités de la transition. Le risque que courent les cinq colonels est une rupture du contrat de confiance entre le peuple et les dirigeants. Il est temps que les décideurs s’approprient les doléances de la population qui ne demande qu’un changement des choix de gouvernance en mettant l’intérêt général au-dessus.
Oumar KONATE
Source: La Preuve