Reprise du trafic ferroviaire « Les autorités doivent rapidement faire libérer toutes les servitudes occupées », dixit Mamadou Guédiouma Coulibaly,
mali24.
Avec la reprise du trafic ferroviaire le 13 juillet dernier, nous avons rencontré un spécialiste qui a, sur les questions de transport, d’environnement, d’aménagement territorial, etc., la main à la pâte depuis longtemps. M. Mamadou Guédiouma Coulibaly ci-devant PDG de la Sifma (Société Immobilière et Foncière du Mali), en plus d’être un promoteur immobilier dont la matière principale est le foncier, est en effet un ingénieur des Travaux publics sorti de l’ENI (Ecole Nationale d’Ingénieurs) et qui a ensuite fait de solides études à Bruxelles (Belgique) où il obtiendra le diplôme de l’Institut Supérieur d’Urbanisme et d’Architecture « la CAMBRE » et de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées de Paris, où il obtint un Masterspécialisé en Infrastructures de transport. Nous lui avons posé quelques questions qui préoccupent beaucoupaujourd’hui, notamment sur le problème d’occupation de l’emprise ferroviaire de l’axe Dakar-Bamako-Koulikoro.M. Coulibaly est formel : Bamako ne peut pas faire l’économie de la libération des servitudes et il urge d’anticiper pour ce qui est des capitales régionales où le phénomène commence à être observé.
Le National : Depuis le 13 juillet, le train siffle à nouveau pour les populations maliennes après une longue hibernation qui a duré des années et que l’on croyait même sans fin. Cette reprise du trafic ferroviaire qui enthousiasme nos concitoyens, singulièrement les riverains des rails, a été alors que tout au long de la voie ferrée, on voit ça et là des occupations anarchiques qui ne seront pas sans préjudices, c’est évident. Vous avez certainement une analyse de cette situation. Quelles vous semblent être les perspectives, particulièrement les solutions à proposer ?
Mamadou Guédiouma Coulibaly : Je vous remercie pour la pertinence de votre démarche et pour les inquiétudes légitimes dont vous faites. Avant de répondre à la question posée, je voudrais d’abord me réjouir, comme tous les Maliens, de la reprise du trafic ferroviaire et saisir l’occasion de féliciter les autorités de la Transition pour leur vision, leur sens de ce qui est utile, porteur et prometteur pour notre pays. Elles sont d’autant à féliciter et à encourager que la reprise du trafic ferroviaire était devenue une sorte de serpent de mer dont la remise au-devant de l’actualité a souvent provoqué du désespoir, de l’amertume même, une sorte de mirage, voire de ruses politiciennes à certaines époques. Les anciens avaient fini de faire leur deuil de l’espoir d’entendre le sifflement du train avant la fin de leur vie ! Espérons que ce soit le cas pour plusieurs autres perspectives heureuses dont le peuple attend la réalisation.
Pour revenir à votre question, je voudrais qu’on analyse non pas seulement pour ce qui est de l’occupation de l’emprise ferroviaire, mais il faut parler de la servitude ferroviaire parce qu’il y a des servitudes définies par la loi, en l’occurrence le Code de l’Urbanisme et le Code de la Construction en République du Mali qui définissent lesdites servitudes. Ces servitudes sont d’intérêt général, elles s’opposent conséquemment à tout le monde. Elles ont un rôle très important que les gouvernants doivent mettre en exergue et que les populations doivent comprendre et en admettre le bien fondé. Dans la traversée de Bamako, par exemple, la servitude est, si je ne me trompe pas, de 50 mètres de part et d’autre de l’axe de la voie ferrée. Ce qu’il faut signaler à l’attention de tous, c’est que Bamako a une chance importante que lui confèrent la voie ferroviaire et le fleuve Niger. A mon avis, certaines localités comme Kita, Néguéla, Banamba…, qui constituent des villes secondaires mais qui, en réalité, avec le développement du trafic ferroviaire, sont potentiellement des quartiers de Bamako, de même Koulikoro à seulement 60 kilomètres de la capitale, peut devenir comme une banlieue de celle ci, avec tout ce que cette région administrative abrite (Ecole Militaire Inter-Armes, port fluvial sur le Niger, les industries navales, etc.). Je m’explique : les trains de nouvelle génération comme le TER au Sénégal et le Al Burak au Maroc, et les opportunités qui y sont liées, permettront à un habitant de Banamba ou de Néguéla, voire plus, en trente minutes ou en une heure de temps au maximum, de venir travailler à Bamako ou l’inverse. Je parle ici de nouveaux moyens de transport ferroviaire, par exemple le Train à Grande Vitesse (TGV) ou à Vitesse moyenne. Le Mali est éligible à cela. Voyez-vous, ce grand axe ferroviaire qui traverse notre pays peut permettre d’étendre l’agglomération bamakoise aux villessecondaires de Kita, Néguéla, Dio, Kati et Koulikoro ; il peut même aller à Banamba et,pourquoi pas, à Boron et les autres villages lointains? Pourquoi pas plus loin vers Ségou ? Vous savez, le développement des transports doit être mixte et il faut l’envisager comme tel. Nous devrions avoir un réseau multimodal pour assurer une mobilité des populations et des marchandises, tout un programme pour envisager la mobilité inter modale (bus, trains et bateaux connectés entre eux). Quand on arrive à Koulikoro, on a le bateau pour continuer. Et quand on arrive au pont de Koulikoro, on pourra developper demain un reseau de tram le tramway ; on a la possibilité de développer d’autres villes comme Baguinéda, etc. Il s’agit d’une planification urbaine et inter urbaine ambitieuse et bien conçue pour plusieurs decennies et qui exige la part de nos autorités la prise de disposition urgentes.
Quelles sont ces précieuses dispositions urgentes à prendre par les autorités ?
M.G.C : Premièrement, il s’agit de la libération de toutes les servitudes et les rendre non aedificandi, c’est-à-dire que l’on n’édifie rien dans ces servitudes. Par exemple, quand vous partez de Boulkassoumbougou, il y avait des servitudes propices au tramway ; le chemin de fer passait par le Babemba jusqu’à l’actuelle BCEAO, les rails y étaient jusqu’à un passé récent, pour aller jusqu’à l’Ensup (Ecole Normale Supérieure) ; les rails peuvent être prolongés aussi par Darsalam pour continuer sur les Banconi, Safo, etc. De même, les servitudes collinaires, si on ne les avait pas occupées, auraient permis de passer par le Lazaré et Niomirambougou pour continuer sur Lafiabougou et Sébénikoro, et plus loin dans le Mandé, entre autres. Ces moyens sont surtout très avantageux par leurs impacts écologiques (diminution de la facture énergétique du pays et des émissions de CO2) et ils accorderaient aux populations de Bamako et à celles de ses environs une mobilité et une fluidité extraordinaires. Il faut le voir ainsi. Donc, l’Etat doit prendre des mesures, mais en concertation avec les municipalités, avec tous les acteurs économiques. Pour ce qui est de la libération des servitudes ferroviaires dont nous parlons, c’est l’avenir même de Bamako qui se joue. Il faut geler déjà ce qui est à geler, même les immatriculés, et le preparer un plan de liberation des servitudes et de toutes les servitues dire aux gens qui sont installés dans les servitudes : « Vous allez libérer, vous allez partir ». Si ce sont des investissements importants, on donnera des délais assez longs. Si ce sont des trucs de moindre investissement, puisqu’aujourd’hui l’Etat n’a pas les grands moyens et que nous sommes dans une situation de rareté de ressources financières, on va agir quand-même en envisageant des dédommagements. Il faut en tout cas que les servitudes soient libérées. Pour cela, il faut que les ministères de l’environnement, de l’hygiène publique, de l’urbanisme participent à la matérialisation des servitudes sous le couvert et l’accompagnement d’un portage politique très élevé.
Vous parliez plus haut de trois servitudes qu’il urge de protéger, voire de sauvegarder…
M.G.C : Oui, je disais qu’en plus des servitudes ferroviaires, il y a les servitudes routières, fluviales, forestières et les servitudes collinaires dont l’Etat a la charge de protéger et de surveiller. On avait défini pour le fleuve Niger des servitudes d’à peu près 100 mètres. Vous voyez un pays comme le Brésil, beaucoup plus peuplé que le nôtre, les servitudes sont de 200 mètres et pourtant personne ne les occupe parce que l’Etat veille. Vous vous y aventurez et vous -êtes interpellé dans les jours pour ne pas dire dans les heures en vous disant « Qu’est-ce que vous voulez faire ici ? Stop ! ». Si vous n’obtempérez pas, des procédures sont vite engagées contre vous avec de très fortes amendes à la clé voire pire. En France, qui fait plus de 80 millions d’habitants, les servitudes collinaires, fluviales, forestières sont pourtant respectées, l’Etat déguerpit tout le temps les têtus. Donc, il faut que les services de l’Etat malien aient des capacités d’intervention très rapides pour,d’abord dissuader pour ce qui est des mauvaises installations, et surtout voir singulièrement pour tous les cas de mauvaise attribution qui ont eu lieu. Donc, si ce sont des occupations qui ont violé les règlementations, et quand la loi est violée, il est loisible à l’Etat de faire rentrer les gens dans le droit chemin. Il s’agit de l’intérêt général que nul n’est autorisé à compromettre ou à hypothéquer. Les libertés que nous prenons avec la loi procèdent de l’anarchie qui va causer des torts énormes aux générations futures. Le chemin de fer Dakar-Bamako-Koulikoro doit être protégé absolument. Il ne s’agit pas seulement du chemin de fer ; avec le fleuve, il s’agit de l’artère principale du Mali. Demain, on va mettre le train rapide sur les railsmais, à côté, il y aura le tramway, il y aura l’élargissement de la route de Koulikoro, de Kati, etc. Ces ambitions doivent être aujourd’hui préparées et protégées pour les générations futures. Il est indéniable que les actes délictueux posés aujourd’hui sur les servitudes hypothèquent l’avenir des générations futures de Kati, Bamako, Koulikoro, etc. Ce sont ces grandes artères, ces infrastructures majeures, qui sont opportunément ce que l’on appelle les infrastructures structurantes, qui ont permis aux Européens, aux Américains et à tous les pays modernes de se développer. Il faut le savoir et en tirer profit. Il ne suffit pas d’extraire de l’or ou autres s’il n’y a pas de planification. Planifier, c’est prévoir.
Si les autorités de la Transition vous demandaient quelques conseils…
M.G.C : Je leur dirai d’abord que les schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme qui sont des lois, puisqu’ils sont publiés par un décret, doivent être observés et leur respect doit être obligatoire dans tous les projets. Ensuite, les autorités doivent lancer un recensement, de la frontière malienne avec le Sénégal jusqu’au bord du fleuve à Koulikoro, des occupations dans la servitude ferroviaire, les identifier et les geler, même les constructions en cours, pour lancer ensuite des programmes de déplacement. Et, comme la nature a horreur du vide, on ne doit pas seulement déplacer les occupants illégaux et anarchiques de la servitude ferroviaire, on doit faire l’amélioration de ces lieux libérés, c’est-à-dire de la rénovation des servitudes libérées, y faire, par exemple des espaces verts, prévoir la multiplication des infrastructures comme, entre autres, élargir la voie de Koulikoro ou prévoir un plan de tramway pour Bamako-Koulikoro. Il faut penser au mieux et non laisser les constructions sur les servitudes, ce n’est pas l’espace qui manque au Mali, nous devons pouvoir planifier nos occupations. Il faut donc recenser, prévoir le départ des occupants illégaux et prévoir conséquemment les infrastructures à édifier. Cela est autant valable pour les servitudes collinaires dont les gens doivent être éloignés d’au moins 50 à 100 mètres parce que, demain, on va certainement passer par là-bas, en témoigne le projet de chemin de fer entre Bamako et Kankan (Guinée Conakry), par exemple. Pour les fleuves, les gens doivent s’éloigner d’au moins 25 mètres.
Malheureusement, les berges du fleuve Niger, en tout cas à Bamako, sont quasiment toutes occupées !
M.G.C : Voilà ! C’est pourquoi je disais que votre sujet est important. La relance du trafic ferroviaire remet à jour, au-devant de l’actualité brûlante, la question de la libération des servitudes. Les bailleurs de fonds seront sans doute regardants sur ces aspects.
Dans ce cadre, il va falloir un jour dégager la cité administrative, dont les bureaux du Premier ministre qui plonge dans le fleuve ?
M.G.C : Mais non, il y a une berge de quelques 100 mètres entre la Primature et le fleuve. Fort heureusement, les concepteurs ne sont pas tombés dans ce piège. La cité administrative observe bien un bon éloignement des berges du fleuve Niger. C’est au-delà, en amont, qu’il y a problème. Il est donc possible de concevoir un échangeur sur le pont Fahd pour descendre, sur 25 mètres, et longer la berge afin de desservir les quartiers comme Djicoroni, Sébénikoro, Samaya, et plus loin. Il y a donc à faire place nette. Techniquement, des exceptions sont possibles. Je prends l’exemple de Bercy, le ministère des finances à Paris, qui plonge dans l’eau, mais à côté, des voies de berge ont été tracées qui permettent de traverser tout Paris. Ici aussi, même si on ne déplace pas tout, c’est possible de prévoir des voies de berge. De toute évidence, la ville de Bamako, notre capitale, ne peut pas faire l’économie de la libération des servitudes et nous devrions anticiper pour les capitales régionales où le phénomène commence à être observé.
Propos recueillis par Lalla Mariam Diallo