A la uneDernières nouvellesPolitique

Transition : L’apogée de la transgression

Les autorités de transition se sont exagérément servies, en délibérant sur le projet de révision de la charte de transition initié par l’Exécutif. Après la dissolution des partis politiques et l’abrogation de la charte des partis, deux sentences exécutoires des « forces vives », il est revenu à l’organe législatif de jouer sa partition, jeudi dernier, par un coup de grâce beaucoup plus violent qu’attendu aux principes démocratiques et de l’éthique politique. C’est à l’unanimité de ses membres, en effet, que le CNT s’est acquitté de cette tâche avec une obéissance au-dessus de toute espérance de leur mandant, le chef de l’Etat Assimi Goïta, auquel les législateurs maliens sont redevables du décret de leur nomination autant qu’ils en redoutent la révocation. Sollicités pour une adaptation de la Charte de la Transition aux 5 ans renouvelables gracieusement rajoutés au délai déjà écoulé, le CNT va s’y prendre par un surprenant excès de déférence et de générosité vis-à-vis du pouvoir suprême. Son extrême soumission à l’Exécutif n’était ignorée de personne mais, pour couper court à toute attente d’objection de conscience, l’organe législatif a choisi de trancher par le zèle. Le ban et l’arrière-ban se sont mobilisés en son sein pour que la durée de la Transition retenue par l’Exécutif soit agrémentée par la transgression de toutes les limites que les autorités s’étaient elles-mêmes initialement fixées, par décence et vergogne. Ainsi, en plus de gratifier Assimi Goïta d’une durée de régence multipliable à son choix, l’ultime plénière de la session d’Avril a audacieusement brisé les verrous quant au cumul de la position de dignitaire de la Transition avec celle de candidat à d’hypothétiques élections générales (présidentielle, législatives, etc.).

Un véritable chèque en blanc à l’arbitre naturel du processus de retour à l’ordre constitutionnel que cache mal l’extension de la mesure aux autres acteurs de la Transition également inéligibles dans la Charte initiale, en l’occurrence les membres du Gouvernement et de l’organe législatif. En clair, l’article 9, pourtant insusceptible de révision, va tout simplement disparaître au détour de ce deuxième tripatouillage qui dépouille la Charte de la Transition de sa teneur limitative de pouvoir ainsi que de sa sacralité en tant que dépositaire du serment présidentiel. Des législateurs de circonstance s’arrogent ainsi le pouvoir d’instaurer la monarchie absolue là où les principes de la République et de démocratie sont clairement consignés dans une constitution investie de suffrages populaires. Mais, en intronisant le nouveau roi de la sorte, les autorités de Transition ne torpillent pas seulement les dispositions immuables de la Charte, elles défient également celles de la nouvelle loi fondamentale en vigueur selon laquelle le fondement de tout pouvoir réside dans la constitution et ne peut découler que de la souveraineté inaliénable du peuple. Or la nouvelle version de la Charte, sur laquelle la constitution prime en légitimité, autorise le souverain à se soustraire aussi longtemps que le contexte politique ne lui sera pas propice pour la conquête du pouvoir par les urnes.

C’est l’étape ultime des multiples transgressions qui ont jalonné le laborieux combat d’accomplissement du coup d’Etat du 18 août 2020. Reste à savoir si les résistances éventuelles qu’elle pourrait engendrer et rencontrer seront moins solides que les précédentes marches que la Transition a pu franchir sans coup férir les unes après les autres. Du coup d’Etat contre Bah N’Daou aux multiples escamotages sur la durée initiale de la Transition au détour d’agenda réformiste (dont le référendum constitutionnel), en passant par la chasse aux voix dissidentes et la liquidation méthodique du politique au profit du tout militaire, le processus aura été long. Il est passé par d’innombrables émotions avant que la transgression n’atteint son apogée avec les récents soubresauts de la dernière couche : abrogation de la charte des partis, dissolution des formations politiques et associations à caractère politique pour étouffer par avance toutes potentielles vagues contraires au vent de l’autocratie à durée indéterminée.

A.KEÏTA

Le Témoin

Boîte de commentaires Facebook

En savoir plus sur Mali 24

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.