Souveraineté monétaire du Mali : Ce qu’en pense l’économiste Modibo Mao Makalou

Les autorités de la transition ont institué le 14 janvier comme journée nationale de la souveraineté retrouvée. Cependant, nombreux sont ce qui pensent que les autorités sont passées à la vitesse supérieure en ce sens que le Mali n’est pas économiquement souverain car n’a sa propre monnaie. C’est ainsi que notre rédaction mali24, le quotidien numérique du Mali s’est entretenue avec l’Economiste et Gestionnaire financier, Modibo Mao MAKALOU. Il est également ancien conseiller à la Présidence de la République du Mali et porteur de plusieurs autres casquettes.


Mali24-Infos : Les Maliens ont aujourd’hui comme slogan la souveraineté retrouvée. Au plan monétaire, y’a-t-il à redire à cause de notre appartenance à la zone franc, contrôlée par l’ex-puissance colonisatrice ? N’est pas là, un décalage entre le discours et la réalité ?


Modibo Mao Makalou : La Zone franc est un espace économique et monétaire. Son objectif est de favoriser la stabilité monétaire et financière au sein de trois zones monétaires. Il s’agit de l’Union monétaire Ouest africaine (UMOA) – Bénin, Burkina-Faso, Côte-d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo ; la Communauté Économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) – Cameroun, Tchad, Centrafrique, Congo, Gabon et Guinée équatoriale (depuis 1985) et les Comores.
Cependant, la France prend part au fonctionnement des institutions communes de la Zone franc y compris le Comité de Convergence de la Zone franc. A ce titre, la Banque de France participe aux réunions semestrielles des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales de la Zone franc et publie les rapports annuels de la Zone franc. Toutefois, depuis la création de l’euro en 1999 le Conseil de l’Union Européenne reconnaît les accords de coopération monétaire au sein de la Zone franc qui lient les francs CFA et comorien à l’euro à un taux de change fixe.
Pouvez nous expliquer la souveraineté monétaire ?
MMM : La monnaie est un instrument de souveraineté d’un pays. Ainsi, battre monnaie est un pouvoir régalien de l’Etat et seul un Etat souverain peut battre monnaie. À mon avis la souveraineté monétaire fait référence à l’indépendance de la politique monétaire d’un État ce qui ne veut plus rien dire aujourd’hui avec la mondialisation et l’interdépendance des États.
Lors de son Discours prononcé devant l’assemblée nationale à l’occasion de l’émission d’une monnaie nationale le 30 juin 1962, le 1er président Malien Modibo KEITA disait que « L’histoire nous enseigne que le pouvoir politique s’accompagne toujours et nécessairement du droit régalien de battre monnaie, que le pouvoir monétaire est inséparable de la souveraineté nationale, qu’il en est le complément indispensable, l’attribut essentiel. Pouvoir politique et pouvoir monétaire ne sont donc, à dire vrai, que les aspects complémentaires d’une seule et même réalité : la souveraineté nationale ».
Est-ce que notre pays a objectivement les moyens de battre sa monnaie ? Quels peuvent être les avantages et les inconvénients d’une monnaie nationale pour un pays continental, qui vend des matières premières et consomme des biens importés pour la plupart ?


MMM: La création d’une monnaie est d’abord une décision politique mais qui doit tenir compte de la quantité et de la qualité de la production de biens et services dans notre économie et de nos échanges de biens et services avec nos principaux partenaires économiques et commerciaux.
C’est donc est une décision politique qui doit répondre à des impératifs techniques de fixation du taux de change (quantité de monnaie nationale qu’on peut échanger contre une unité de monnaie étrangère) pour faciliter les échanges avec les principaux partenaires commerciaux tout en assurant la stabilité des prix donc du pouvoir d’achat des citoyens.
Ainsi, la création d’une monnaie nationale implique la création d’un institut d’émission qui servira de banque centrale nationale. Celle-ci agira principalement comme une banque pour les banques commerciales en contrôlant les flux de monnaie et de crédits dans l’économie, de manière à assurer son premier objectif, en l’occurrence, la stabilité des prix.
En examinant les comptes macroéconomiques du Mali en général et la balance des paiements (qui enregistre l’ensemble des transactions économiques avec l’extérieur) en particulier, il ressort clairement que le Mali est assez dépendant du commerce international qui constitue 60% de son produit intérieur brut (PIB) c’est à dire de sa production nationale de biens et de services. Je rappelle que la solidité d’une monnaie est établie selon les normes internationales lorsque les avoirs extérieurs nets (liquidités disponibles en or et devises) de la Banque Centrale peuvent couvrir 3 mois d’importations.
Le Nigeria et le Ghana qui possèdent leurs propres monnaies, sont dans la dynamique de mettre en place une monnaie commune indépendante de la France ? Qu’est ce qui peut justifier cela ?
MMM: Le lancement de l’Eco, la nouvelle monnaie unique des 15 États membres de la CEDEAO a été reporté en 2027 à cause de la pandémie de la Covid-19. Il y aura une Banque centrale fédérale à l’instar de la Banque Centrale Européenne (BCE).
L’Eco sera une monnaie avec un taux de change flexible pour la CÉDÉAO et elle sera arrimée à un panier des monnaies internationales. Deux pays (Nigeria et Ghana) constituent 75% du PIB de la CEDEAO. Le principal défi pour le lancement l’Eco de la CEDEAO concernera principalement le respect des critères de convergence macroéconomiques ainsi que la gouvernance économique et financière du Nigeria et du Ghana parce que ces pays font actuellement face à de grandes difficultés économiques et financières suite aux conséquences de la résurgence de la Covid-19 et de la guerre en Ukraine.
interview réalisée par Coulibaly A

Source: Mali24.info

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