Que sont-ils devenus… Ibrahima Ndiaye dit Iba : Homme d’Etat et politicien XXL
Le samedi 15 octobre 2022, en route pour rencontrer Ibrahima Ndiaye dit Iba, nous avons enduré les embouteillages à l’aller comme au retour sur l’axe Yirimadio. La raison ? Le prêcheur Ousmane Chérif Madani Haïdara procédait ce jour au Stade du 26-Mars à la séance de bénédictions de l’anniversaire du baptême de notre Prophète Mohammed (PSL). L’intérêt de rencontrer un homme d’Etat, et la satisfaction suscitée par son interview nous permirent d’être patient et compréhensif face à l’agressivité de certains fanatiques du guide spirituel. Notre héros de la semaine pour l’animation de la rubrique ” Que sont-ils devenus ? “, s’appelle Iba Ndiaye. Un des acteurs principaux du Mouvement démocratique de 1991, il est un homme politique, mais fut aussi un grand administrateur qui s’est distingué dans la gestion de l’Etat. Il observe aujourd’hui une retraite politique. Cet ancien secrétaire général de l’Adéma estime avoir vécu son temps, et se trouve dans la posture de servir toujours son pays. Autrement dit il faut savoir prendre des décisions sages. Sinon il a décidé de faire la politique dans un contexte aléatoire et risqué sous un régime dictatorial : enlèvement, emprisonnement, brimades dans l’administration. Pourquoi il a quitté sa famille d’origine pour l’URD ? Comment le choix vers ce parti s’est dessiné ? Quel jugement porte-t-il sur le Mouvement démocratique ? Que pense-t-il de la position diplomatique de notre pays ? Quelles sont les raisons de son soutien à la Transition ? Iba Ndiaye reconnu pour son franc-parler reste droit sur sa lignée, pour asséner sa part de vérité sur la conduite des affaires de l’Etat. Le contexte ? La rubrique ” Que sont-ils devenus ? ” de votre journal préféré, Aujourd’hui-Mali.
brahima Ndiaye dit Iba est originaire de Kayes, où il est né le 2 Mai 1948. C’est à l’école fondamentale de Kayes Khasso qu’il passe au DEF en 1965. Il devient professeur de maths-physique quatre ans plus tard après son passage à l’Ecole normale secondaire. Il fait ses premières armes dans l’enseignement dans le cercle de Kéniéba, avant de retourner à ses racines à Kayes Khasso et Kayes N’di. Des moments enrichissants qui n’empêcheront pas son affectation à l’Institut des jeunes aveugles. Le directeur de l’IJA, à l’époque Ismaïla Konaté, séduit par l’amour du métier cultivé à Iba Ndiaye et son abnégation à dispenser les cours, s’emploie à lui trouver une bourse de spécialisation de deux ans en Tunisie.
Il rend un vibrant hommage au vieux Konaté, et retient de lui un cadre au sens relevé de responsabilité. Après quelques années d’enseignement, il bénéficie d’une autre bourse pour des études supérieures à l’Université de Bordeaux II (1982-1983), et à l’Université de Paris X-Nanterre (1983-1987).
Ce cursus universitaire est sanctionné par une maîtrise en sciences de l’éducation et un diplôme d’études approfondies (DEA) en psychologie sociale et d’un diplôme supérieur de l’éducation. A son retour, il reprend service sous un régime dictatorial, dont la puissance avait commencé à vibrer parce que le vent de la démocratie devait commencer à souffler en Afrique. Et voilà que l’Adéma Association est créée, et Iba Ndiaye dirigera la coordination de la Commune VI, puis secrétaire à la solidarité de l’Adéma/PASJ, mis sur fonds baptismaux après la chute du régime de Moussa Traoré.
Il devient secrétaire général du parti lors du premier congrès de l’Adéma (1991-1999). L’enfant de Kayes occupera par la suite le haut poste de 2e vice-président du parti. Reversé dans l’administration générale, il est maire central du district de Bamako (1998-2003) et préside en même temps les destinées de l’Association des municipalités du Mali.
Cadre compétent et fervent défenseur de son parti et de ses acquis, Iba Ndiaye prend les rênes de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE). C’est à ce poste qu’il est nommé ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle en octobre 2007. Il y sera maintenu au remaniement du mois d’avril 2009. Ecrivain il l’est aussi pour avoir écrit deux livres : “Adéma/PASJ, le parti de l’avenir” (1996), “Les élections de 1997 : résultats, réflexions, défis à notre culture démocratique” (1998).
Fidèle compagnon du président Alpha Oumar Konaré, ils se sont connus à Kayes quand celui-ci lui enseignait au second cycle de l’école du Khasso le français-histoire-géo.Sans complaisance il apprécie la combativité de l’ancien président, et assume tout ce qu’ils ont fait ensemble. Seulement il n’est pas d’accord avec son silence ; pour la simple raison qu’Alpha Oumar a promis d’être un militant de l’Adéma au terme de ses mandats. Au-delà Iba Ndiaye dit avoir compris le silence de son ancien mentor, parce qu’il a évité de prêter le flanc au risque d’être abattu.
L’actualité à la loupe, repentir
Une rencontre avec Iba Ndiaye quel que soit le contexte débouche nécessairement sur l’actualité du jour. Logiquement nous débattons dès le début de l’entretien de ce projet de la nouvelle Constitution. Qu’est-ce qu’il en pense ? Sa première appréhension par rapport à l’Africanisme n’est pas remise en cause. Car cela est une identité malienne. Ce qui l’a soulagé. Autre préoccupation prise en compte, qui constitue d’ailleurs une innovation, c’est la possibilité de destitution du président de la République.
La solution trouvée sous la forme de sanction, au nomadisme politique est une avancée majeure pour stabiliser les partis, c’est-à-dire qu’un député ou un maire qui transfère dans un parti politique perd son mandat. Raison pour laquelle il salue le bon travail de la Commission de rédaction. Le coup d’Etat est encore condamné dans les mêmes termes. Cela dénote une réelle conviction des militaires d’éviter dans l’avenir les coups de force. Même s’ils en ont fait.
Iba Ndiaye n’est pas un inconnu de la scène politique malienne. Il a toujours donné son avis sur l’actualité. Il se plaît de dire être témoin de tous les coups d’Etats au Mali de 1968 à 2021. S’il ressasse à présent la liesse à l’annonce de la chute du président Modibo Kéïta, cependant il a été par la suite déçu. Parce que les militaires ont promis un vent d’espoir, qui s’est malheureusement transformé en harmattan. Le pays ne se développait pas, la liberté d’expression entravée, les salaires tombaient en compte-goutte, des enseignants embrassent l’aventure, faute de moyens, des couples volent en éclat, Modibo Kéita est resté en prison pendant neuf ans sans jugement.
C’est pourquoi le Mouvement démocratique avait ses raisons pour se dresser contre ce régime. Les acquis de la démocratie sont visibles et salutaires. Iba Ndiaye se réjouit aujourd’hui que le Mali soit à l’abri de tout ce que le peuple a vécu sous le feu général Moussa Traoré. Au moins les dix ans de l’Adéma n’ont enregistré aucune perte en vie humaine, malgré le fait que son siège, et les maisons de ses leaders aient été incendiés, lors des manifestations de l’AEEM.
Au-delà, Iba Ndiaye se repent. Il reconnaît que les hommes politiques doivent demander pardon au peuple malien. Pour la simple raison que la population a été leur victime. Mieux les hommes politiques entre eux doivent se pardonner. Pourquoi ce repentir ? “J’ai fait le constat qu’une bonne partie de l’opinion déteste les hommes politiques. C’est les délices du pouvoir qui constituent l’enjeu principal pour la conquête du pouvoir. A cause de cela, il y a trop de faits négatifs entre nous”.
Iba Ndiaye est l’un des politiciens les plus constants. Acteur principal et grand défenseur du Mouvement démocratique, il prône le respect de l’opinion des uns et des autres. Pour lui, les deux mandats de l’Adema sont colossaux, et ont contribué à formater l’histoire politique du pays.
Sa vision de la situation actuelle de la nation relève d’un sens patriotique plus élevé. Face à la montée en puissance d’une junte et l’inertie d’une classe politique, il soutient que les repères sont brouillés. Le Mali est en difficulté. La sécurité a connu un grand progrès, et il faudra l’améliorer dans le temps parce que la crise n’est pas seulement sécuritaire, mais multidimensionnelle. Dans ce cas le mieux serait de prioriser tous les volets pour avoir une bonne vision. Les difficultés économiques sont la suite logique, sinon la conséquence immédiate de l’effort de guerre. Or à ce niveau il faut une victoire.
Le pays s’est retrouvé dans un régime d’exception sans le vouloir. Mais face aux dérives d’un régime démocratique, Iba Ndiaye rappelle que les Maliens se sont levés et l’intervention de l’armée a été salutaire. Et selon lui tant que le pays demeurera dans ce régime d’exception, il ne sortira pas de l’auberge. Donc il faut soutenir la Transition avec des critiques pour corriger les lacunes. A défaut le soutien serait aveugle, ou intéressé.
Cette position tranchée d’Iba Ndiaye pour soutenir la Transition, s’applique-t-elle à la crise diplomatique que connait le Mali ? Est-ce qu’il cautionne la radicalisation diplomatique de nos autorités ? L’ancien ministre n’épouse pas l’option de la junte sur le plan diplomatique. Certes dans l’histoire du Mali, c’est un fait nouveau. Mais il est persuadé que nous ne pouvons pas mener une crise sur ce plan. Dans ce cas, il faudrait des efforts concertés avec les pays qui vivent les mêmes problèmes. Une brouille avec la Cédéao n’est pas souhaitable. Il soutient clairement que nos dirigeants ne doivent pas accepter que la France soit un problème entre la Cédéao et nous.
Pour avoir été membre fondateur des deux entités de l’Adema (association et parti politique), il est incompréhensible, même paradoxal qu’il quitte son navire au profit d’une autre formation politique. Comment ce divorce est arrivé ? Iba Ndiaye dans un calme olympien justifie son départ de l’Adéma par la déviation de ses leaders des idéaux qui ont caractérisé la naissance de leur bébé commun. Donc il a décidé de démissionner pour exprimer sa désapprobation par rapport au soutien indéfectible de l’Adéma lors des élections présidentielles à feu le président IBK. Comment accompagner un président dont le discours était en déphasage avec les lignes de l’Adéma ? Pis, IBK était très critique vis-à-vis du Mouvement démocratique, or nous avons pris de gros risques pour aboutir à la démocratie dans notre pays, argumente-t-il.
Pourquoi avoir transféré à l’URD au lieu de créer un parti politique ? Iba Ndiaye avance ses raisons : “Créer un parti n’était pas la bonne alternative. J’ai été contacté par Soumaïla Cissé avec qui j’ai eu de très bons rapports à l’Adéma, ainsi que plusieurs cadres d’ailleurs. D’autant plus que je n’étais plus en harmonie avec mon parti d’origine, il fallait que je milite dans l’opposition. Je ne regrette pas mon choix pour URD, dont j’ai même contribué au renforcement. Cependant, c’est déplorable que l’on ne parvienne pas à resserrer les rangs après le décès de Soumaïla Cissé. C’est le même syndrome que l’Adéma a connu quand le président Alpha Oumar Konaré est parti”.
Comme bon souvenir Iba Ndiaye retient la victoire de l’Adema aux élections de 1992. Le coup d’Etat du capitaine Amadou Haya Sanogo est son principal mauvais souvenir ? Parce que cela a été une catastrophe et même un coup de tête. Selon lui, les jeunes n’étaient pas préparés à gérer le pouvoir. Voilà comment nous nous sommes retrouvé dans un désordre total.
L’ancien ministre est marié et père de quatre enfants.
O. Roger
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