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Lutte contre le terrorisme dans le Liptako-Gourma : La pièce qui manque au puzzle

Six mois après le retrait du Mali, les Etats du G5 Sahel sont dans la dynamique d’adopter une nouvelle stratégie d’opérations notamment dans la « zone des trois frontières », épicentre de la violence extrémiste.  Quelle efficacité dans cette lutte sans le Mali ?

Ces derniers mois, le Liptako-Gourma a pris l’allure d’un « no man’s land ». La situation sécuritaire continue à se dégrader.  L’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) de Iyad Ag Ghali, s’affrontent pour le contrôle de certains territoires. Sur leur passage, ils n’épargnent pas les populations civiles encore moins les forces de défense et de sécurité.

 Dans cette zone de 370 000 km2, l’hydre du terrorisme assène beaucoup plus le Mali et le Burkina Faso que le Niger. Nombre de villages dans les régions de Gao et Ménaka au Mali ne dorment plus que d’un œil. Les militaires maliens du Camp de Tessit, ont essuyé une attaque qui a fait 42 morts le 7 août 2022. Au Burkina, le convoi de ravitaillement de la ville de Djibo est tombé dans une embuscade qui a coûté la vie à 10 soldats et une cinquantaine de blessés le 26 septembre dernier. Autant mentionner que la situation est inquiétante.

 Cette dégradation de la sécurité survient dans un contexte de crise entre Etats. Le Mali, en rapport inamical avec le Niger et la Côte d’Ivoire, est en rupture avec le G5 sahel tout comme il a des difficultés avec la CEDEAO au sujet du retour à l’ordre constitutionnel. Le retrait de Barkhane du Mali, dû à la mésentente entre Koulouba et l’Elysée, aussi laisse un vide à occuper. Dans une telle brouille, comment endiguer le foyer de violence extrémiste dans le Liptako-Gourma ?

Crise institutionnelle 

On s’en souvient. Le Mali a annoncé son retrait du G5 sahel le 15 mai 2022 après qu’on lui a refusé de passer la présidence de l’organisation comme prévu. En juin, les 1400 soldats maliens sur 5000 de la Force conjointe seront définitivement retirés. Cette décision porte un coup dur à l’organisation sous régionale au point que le président du Niger, Mohamed Bazoum, parlera de « la mort du G5 Sahel ».

 Six mois après le divorce, les dirigeants de l’organisation peinent à mettre en place une nouvelle formule. Le secrétaire exécutif du G5, Eric Yamdaogo Tiaré, a déclaré que ce retrait a plongé l’organisation dans « une crise institutionnelle », lors de son intervention au Conseil de sécurité de l’ONU, le 16 novembre 2022. Comme conséquences, il a énuméré « la délocalisation (provisoire) du Quartier Général de Bamako à Ndjamena, la suspension du soutien de la MINUSMA aux opérations de la Force conjointe et l’impossibilité de réaliser des opérations conjointes dans les trois fuseaux ».

 La plus grande difficulté se situe au dernier point cité par le Secrétaire exécutif. La Force conjointe qui est le bras militaire du G5 coordonnait ses opérations dans les zones frontalières sur une bande allant de 50 km à 100 km. Elle menait ses actions dans trois fuseaux : le fuseau ouest (Mali-Mauritanie), le fuseau centre (Mali-Burkina-Niger) et le fuseau centre (Tchad-Niger). La nouvelle donne est que la Mauritanie est déconnectée des trois autres membres, seul le Mali permettait de les relier.

Le CONOPS

Pour contenir l’extrémisme violent dans le Liptako-Gourma, la coopération est à deux niveaux. D’une part le Niger et le Burkina opèrent dans le fuseau centre au sein de la Force conjointe. La seconde réponse est la coopération bilatérale, en gestation, entre le Mali et le Burkina Faso qui partagent un peu plus de 1200Km de frontière. 

Les dirigeants du G5 ont engagé la redynamisation de l’institution. « La relecture du CONOPS (Concept stratégique d’Opérations) s’est imposée et le processus de réflexion stratégique pour une nouvelle reconfiguration de la Force a commencé », a relevé Eric Yamdaogo Tiaré dans son discours avant de préciser que la réunion des experts militaires est prévue pour le 5 décembre prochain dans la capitale mauritanienne. 

 Pour Ibrahim Maïga, conseiller spécial pour le Sahel à International Crisis Group (ONG spécialisée dans la prévention des conflits), la force conjointe va peut-être passer à son schéma2.  « Ce second scenario qui avait été retenu par les chefs d’Etats major des pays du G5, est d’avoir une force mobile capable de se déployer partout dans l’espace G5. Cela suppose une force intégrée, c’est-à-dire que vous n’avez pas de contingent positionné dans chacun des pays membres. Vous avez une brigade composée de Nigériens, de Burkinabè, de Mauritaniens et de Tchadiens », détaille le chercheur. 

D’après l’expert, le hic est que le Mali est l’épicentre des violences extrémistes dans le sahel, « si vous ne l’avez pas  à bord d’une organisation qui lutte contre l’insécurité, vous n’avez pas une partie du problème et aussi une partie de la solution. C’est sur le plan stratégique que l’absence du Mali se fait sentir », soutient M. Maïga.

Envoi des points focaux dans les capitales

Conscients de la réalité géostratégique, Bamako et Ouagadougou ont enchainé des visites. Le président de la transition au Mali, le colonel Assimi Goïta, a reçu son homologue burkinabè, le lieutenant-colonel Paul Henri Damiba, le 3 septembre dernier. La coopération militaire était au cœur des échanges. La dégradation de la situation sécuritaire aura raison de Damiba. 

Après sa prise du pouvoir, le Capitaine Ibrahim Traoré effectuera le 2 novembre sa première visite sur Bamako, un mois après le passage de son prédécesseur, dans le but de continuer les travaux de coopération militaire entamés.  Une semaine après, le 11 novembre le ministre malien en charge de la défense, le Colonel Sadio Camara, s’est rendu dans la capitale burkinabè dans la même veine. 

Lors de cette dernière visite, « il a été question de l’envoi des points focaux dans les deux capitales. Un burkinabè qui pourrait se rendre au Mali et inversement. Ça pourrait contribuer à la fluidité de la communication, à l’engagement politique et stratégique (des deux parties) », précise Ibrahim Maïga qui estime que cette stratégie réduirait considérablement la porosité des frontières dans le Liptako-Gourma. Notre expert opine que cette coopération ne doit pas se limiter à l’option militaire pour contenir l’hydre du terrorisme. « Il y a un répit du côté nigérien qui est dû à un certain nombre de conditions, la pression militaire d’une part, il y a eu aussi des initiatives de dialogue avec certains nombres d’acteurs (groupes armés) qui ont permis de ramener un semblant d’accalmie », constate le chercheur. Sans oublier les actions économiques de stabilisation « à l’image du Programme d’Investissement prioritaire du G5 Sahel ».

Prioriser les réponses politiques

Le plus important est la franchise de la coopération, bilatérale ou multilatérale. « La Force conjointe est quelque part aussi du ‘‘bilatéralisme approfondi’’ en ayant un maximum de contacts entre les pays du G5. », relativise le spécialiste. Il faut aussi tirer leçon des limites du G5 en donnant « plus de priorités au réponses politiques ». Cela implique que l’urgence n’est pas le retour du Mali à l’organisation sous régionale. « On peut imaginer le retour du Mali dans d’autre format que celui du G5. », opine Ibrahim Maïga. Il met en parallèle le cas du Mali et « l’expérience de la Guinée qui s’était retirée de l’Organisation des Etats riverains du fleuve Sénégal (OERS) en 1971 ». L’OERS a cédé place, en 1972, à l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) et la Guinée l’a rejointe en 1992.

La situation est plus qu’alarmant dans les pays côtiers de l’Afrique de l’ouest. Les chefs d’Etat et de Gouvernement membres de l’Initiative d’Accra, créée en 2017, se sont réunis dans la capitale ghanéenne mardi 22 novembre 2022. Ils se sont engagés à opérationnaliser la task-force conjointe multinationale dans un mois pour stopper l’avancée des groupes terroristes. Le fait que l’Initiative ne couvre pas le foyer de violence, le Liptako-Gourma, est déjà un handicap. 

En effet, le Mali et le Niger restent « observateurs » de l’Initiative depuis 2019, c’est la pièce qui manque au puzzle. Outre cela, l’organisation risque de commettre les mêmes erreurs que le G5 Sahel. « La force multinationale conjointe ressemble dans sa forme, dans son fonctionnement mais aussi dans son financement au G5. Une grande partie du financement est tributaire de l’engagement des partenaires extérieurs (notamment l’Union européenne). », décèle Ibrahim Maïga. 

Makan Fofana

Source : Mali24.info

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