Révision Annuelle des Listes Electorales (RALE) : Les constats de MODELE Mali
La Mission d’observation des élections au Mali (MODELE Mali) a déployé ses 75 observatrices et observateurs à long terme (OLT), pour observer la Révision Annuelle des Listes Électorales (RALE) sur la période du 1er octobre au 31 décembre 2022. Cette activité se déroule conformément à l’article 52 de la Loi n°2022-019 du 24 juin 2022, portant Loi électorale, qui prévoit que les listes électorales font l’objet d’une révision annuelle du 1er octobre au 31 décembre de chaque année.
Le présent rapport est la synthèse des informations recueillies sur l’ensemble du territoire, concernant la période du 1er au 10 octobre 2022. Il comprend la synthèse générale, les remarques spécifiques, le plan politique, la situation sécuritaire, les défis logistiques et les recommandations.
LA SYNTHESE GENERALE
La MODELE a observé le démarrage des opérations de la RALE dans la majorité des communes des 49 cercles et des 6 communes du District de Bamako. Cette période de démarrage se fait en l’absence de l’Autorité Indépendante de Gestion des Élections (AIGE) qui doit superviser les opérations, suivant l’article 57 de la Loi électorale.
Les commissions administratives ont été installées le 1er octobre 2022, conformément aux dispositions légales, dans la plupart des localités. Cependant, elles ne sont pas toutes fonctionnelles, faute de documents de travail. Les raisons qui justifient la non installation des commissions dans certaines communes sont d’ordre sécuritaire pour la plupart.
Les commissions sont composées de représentants de l’État et de partis politiques. Globalement, le genre est respecté dans la composition des commissions.
L’engouement suscité par la RALE auprès des populations est très faible et cela s’explique par plusieurs raisons. Il s’agit, entre autres, du manque d’informations nécessaires sur l’importance de ces opérations de révision, des travaux champêtres en cette fin d’hivernage, de l’accès difficile à certaines communes à cause des inondations et de l’insécurité.
LES REMARQUES SPECIFIQUES
Dans la région de Kayes, certaines commissions ont été mises en place avant le 1er octobre, mais n’ont pu démarrer leurs activités à cause du retard de la mise à disposition des documents nécessaires. Dans le cercle de Bafoulabé, excepté la commune urbaine, aucune commission administrative chargée de suivre les opérations n’a été mise en place, selon les informations recueillies.
Il faut aussi noter une faible représentativité des femmes au sein des commissions administratives mises en place pour conduire les travaux. Sur les 42 commissions installées, il a été observé un effectif de 509 membres dont 46 femmes (environ 10%).
Dans la région de Koulikoro, toutes les commissions administratives des localités observées ont été installées le 1eroctobre 2022. Dans certaines localités, les commissions administratives font face à des difficultés d’accès et de disponibilité des locaux liées aux célébrations de mariage. Il a été également observé, à Moribabougou, l’absence des documents tels que : La liste des copies des bulletins n°3 du casier judiciaire, le tableau de validation des électeurs potentiels, le registre coté et paraphé par le représentant de l’État.
Dans la région de Sikasso, toutes les commissions administratives des localités observées ont été installées le 1er octobre 2022. Dans le cercle de Yorosso, notamment dans les communes de Yorosso, Karangana et Koury, bien que la RALE ait démarré le 1er octobre, les Commissions administratives n’ont pu commencer les activités que le 5ème jour à cause d’un retard dans la mise à disposition des documents nécessaires.
Dans la région de Mopti, les commissions administratives ont été installées dans l’ensemble des cercles de la région. Cependant, dans le cercle de Bankass, 6 commissions n’ont pas été installées à cause de la présence des djihadistes. Dans le cercle de Djenné, les commissions des communes de Syn, Toura, Manta et Chouala n’ont pas été installées à cause de l’inondation.
Dans la région de Tombouctou, 49 sur 57 commissions de révision ont été installées. Les raisons qui justifient la non installation des commissions dans certaines communes sont d’ordre sécuritaire pour la plupart (Niafunké : 04) et d’absence de l’administration (Gourma Rharous : 8). Le genre est respecté dans les 7 commissions visitées : sur 61 membres, 21 sont des femmes. Cependant, aucune des 49 commissions n’est fonctionnelle pour faute de documents de travail.
Dans la région de Gao, la RALE a démarré le 1er octobre dans les cercles. Hormis la vulgarisation de la loi électorale à l’endroit de la population, il n’y a pas d’autres activités en rapport avec le processus électoral.
Dans la région de Kidal, les différentes commissions administratives sont installées et répondent aux exigences légales quant à leur composition. À ce jour, lesdites commissions ne disposent pas de matériel nécessaire pour commencer leur travail.
Dans le District de Bamako (Rive Gauche), les commissions ont été installées le 1er octobre. Cependant, il a été constaté l’absence de la majorité des membres des commissions tant du côté des représentants de l’État que des partis politiques.
Sur la Rive Droite du District de Bamako, les commissions ont été installées le 1er octobre 2022 (communes 5 et 6) et les travaux ont démarré le 3 octobre.
SUR LE PLAN POLITIQUE
En général, la plupart des partis politiques sont représentés au sein des commissions administratives. On peut citer, entre autres : ADEMA, RPM, URD, CODEM, SADI, YELEMA, MPR, UDD, ASMA-CFP, ADP-Maliba, FARE AN KA WILI, PARENA.
Il a été constaté un déficit de communication autour des opérations de la RALE par les partis politiques. Toutefois, des campagnes de sensibilisation et de vulgarisation de la Loi électorale ont été initiées par des acteurs politiques dans certaines localités.
LA SITUATION SECURITAIRE
Dans la région de Kayes, malgré la menace djihadiste qui s’accroit de jour en jour, ponctuée par de nombreuses attaques contre les civils et les militaires, les opérations de la RALE se déroulent sans incident.
Dans la région de Koulikoro, on note la présence des terroristes qui visent souvent les convois des agents de l’administration dans le cercle de Nara. A Niamina, cercle de Koulikoro, l’attaque de la Mairie, le 21 septembre 2022, a motivé la délocalisation de la commission administrative à la sous-préfecture.
Dans la région de Sikasso, la situation sécuritaire est préoccupante dans certaines localités du cercle de Yorosso avec la présence ou la menace des groupes armés. Cependant, les opérations de la RALE se déroulent pour le moment sans incident sécuritaire.
Dans la région de Mopti, il a été observé la multiplication des attaques des véhicules de transport et l’enlèvement des personnes et leurs biens sur l’axe Bandiagara-Bankass par des groupes armés. En dépit de la présence des forces de sécurité dans plusieurs localités, la situation sécuritaire demeure toujours inquiétante.
Dans la région de Tombouctou, la situation sécuritaire demeure très fragile, du fait de la présence des groupes terroristes et des mines anti-personnelles. Cette situation a rendu difficile le démarrage de la RALE dans certaines communes. Dans le cercle de Gourma Rharous, les actions des groupes armés ont provoqué le départ de l’administration et des services sociaux de base des communes vers le chef-lieu.
Dans la région de Gao, malgré la présence des forces de défense et de sécurité dans certains chefs-lieux, elles sont quasiment absentes dans d’autres. Il a été observé un grand nombre de réfugiés internes dans la commune urbaine de Gao en provenance des cercles de la région.
Dans la région de Kidal, aucune attaque n’a été enregistrée entre le 1er et le 10 octobre 2022. Certes, la situation semble calme, mais la menace sécuritaire qui plane sur la région est réelle dans les différents cercles. Le cercle d’Abeïbara est devenu quasi inaccessible et connaît le déplacement d’une grande partie de sa population vers l’Algérie ou dans la ville de Kidal.
LES DEFIS LOGISTIQUES
En général, l’accès à certaines localités, en cette période d’hivernage, est très difficile à cause des routes impraticables.
La couverture téléphonique est satisfaisante dans l’ensemble, mais défaillant à certains endroits. Il a été constaté le manque total de réseau téléphonique dans certaines localités de la région de Mopti et des perturbations dans la région de Tombouctou.
LES RECOMMANDATIONS
A l’issue de cette première phase d’observation (1er au 10 octobre), la MODELE formule les recommandations suivantes :
-L’envoi diligent des documents de travail aux commissions administratives ;
-L’intensification des activités d’information et de sensibilisation autour de la RALE ;
-Le renforcement de la sécurité dans les zones à risque, pour permettre aux citoyennes et aux citoyens d’avoir accès aux commissions administratives.
Entre Nous : La démocratie en marche au Kenya
Le 13 septembre dernier, William Ruto, Vice-président sortant, a prêté serment en qualité du cinquième président du Kenya, un pays qui a accédé à l’indépendance en 1963. Quelques jours plus tôt, c’est-à-dire le 5 septembre, la Cour suprême kenyane avait validé sa victoire à l’élection présidentielle du 9 août au détriment de l’opposant historique, Raila Odinga. Ce vétéran de la politique avait saisi la plus haute juridiction du pays aux fins d’invalidation du scrutin. Il a dénoncé des fraudes massives. La Cour suprême n’a pas accédé à la requête de Raila Odinga qui avait le soutien du Président sortant Uhuru Kenyatta. Dans un communiqué, Raila Odinga, âgé de 77 ans a souligné : « Nous avons toujours défendu l’Etat de droit et la Constitution. A cet égard, nous respectons la décision de la Cour, bien que nous la désapprouvions avec véhémence ».
Cette victoire de William Ruto administre quelques leçons sur la bonne marche de la démocratie.
Première leçon : le candidat soutenu par le Président sortant peut perdre les élections. Feu Oumar Bongo n’avait donc pas raison quand il disait qu’on n’organise pas une élection pour la perdre. En Afrique, on peut organiser une élection et la perdre. Ce fut le cas au Kenya mais aussi au Sénégal où le Président Abdou Diouf a perdu en 2000 face à Me Wade, lequel fut battu en 2012 par Macky Sall. En Sierre Leone, le candidat du principal parti de l’opposition a battu en 2018 le porte-étendard du parti au pouvoir soutenu par le Président sortant.
Deuxième leçon : Cette décision qui confirme la défaite du candidat soutenu par le Président Uhuru Kenyatta renforce davantage la crédibilité de la Cour suprême kenyane. Elle conforte l’image de la Présidente de l’institution, Mme Martha Koome, une ancienne avocate de 62 ans qui a promis «de débarrasser le système judiciaire de la corruption et de préserver son indépendance». Déjà, à deux reprises, la Cour suprême s’était illustrée par son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique.
Le 1er septembre 2017, elle avait invalidé la victoire du Président Kenyatta en raison des irrégularités suite à une saisine de Raila Odinga. Elle a ordonné la reprise du scrutin. C’était une première en Afrique. Le Président Uhuru Kenyatta avait dénoncé des « juges escrocs », des mots durs qui n’ont jamais dévié les juges kenyans de leur trajectoire.
En mars 2022, la même juridiction a invalidé le processus de révision de la constitution initié par le Président Kenyatta.
Cet exemple d’indépendance de la Cour suprême du Kenya doit inspirer d’autres institutions en charge du contentieux électoral.
Par Chiaka Doumbia
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